Le tournant des années 70 : des monceaux de bobines expérimentales bâclées et restées dans l'obscurité... Et des relectures irrévérencieuses, souvent ratées, mais un peu moins oubliées.

Ce film-ci n'est pas comme Le Privé d'Altman une simple actualisation, un reboot, comme dirait Tuco (Ugly), dans le monde merveilleux des éditions Marcel. Gumshoe transpose Le Grand Sommeil dans le contexte industriel, portuaire et glamour de la verte Liverpool (éliminez les adjectifs inadéquats). Les jeunes mannequins libidineux sont idéalement remplacés par des Anglaises entre deux âges à la dentition solide. Le personnage principal reste un acteur fameux en voie rapide vers la décrépitude alcoolo-goudronneuse.


On n'est qu'en 71, et il est peut-être un peu tôt pour parler de déconstruction. Ou c'est peut-être juste que Derrida n'a rien inventé. Et de toute façon, c'est le propre d'une intrigue policière de transformer façon puzzle un crime banal en fascinant mystère. Personne ne donne son vrai nom ni n'annonce ses véritables intentions, l'enquêteur parvient au fond du trou par la bande, tenu en marge des évènements jusqu'à ce qu'à force de pugnacité, et après quelques coups bien placés et bien encaissés, il mette le doigt dans l'oeil du noeud de la clé du mystère.


Résultat, une intrigue décousue et bien peu captivante, puisqu'on ne sait par quel bout la prendre, ignorants des tenants et des aboutissants de chaque action qui se déroule sous nos yeux. C'est la loi du genre : l'enquêteur partage avec nous des réflexions superficielles et plus ou moins spirituelles sans dévoiler ses déductions, qu'il garde pour le coup de théâtre final. Ca stimule la curiosité au début, puis ça laisse sur la route. Le Grand Sommeil bénéficiait du charisme de ses acteurs, de l'ambiance somme toute gothique du noir et blanc d'époque ; l'aura du classique. Gumshoe est fâcheusement dénué de charme. Il imite certes les habituels numéros de séduction mitonnés par Hawks, échanges de tirades à la mitraillette entre Bogart et ses accortes interlocutrices ; mais c'est ici désincarné, étrangement vide. Et Frears ne construit pas le cadre qui aurait pu donner un cachet racé à son polar. Même un film raté comme The Reckoning essayait d'ancrer son récit dans un contexte urbain et social. Le polar n'a pas besoin d'être fidèle à la réalité ; juste de paraître réaliste. Ca suffit parfois à sa réussite.


Pourtant il y avait une piste intéressante : les répercussions politico-économiques de l'enquête. Et la relation en miroir qu'elles entretiennent avec la situation sociale du personnage principal, voire avec celle de n'importe quel citoyen, et sa complice passivité avec les affaires en cours.


Gumshoe est sorti à une époque où le genre policier était chahuté par le cinéma. D'une certaine manière, par son caractère décevant, il examine son rapport avec la réalité : bien sûr les personnages ne sont pas ce qu'ils paraissent, mais le mystère dissimule des figures souvent moins douées et fascinantes que les représentations fictionnelles habituelles. Les menaces les plus sérieuses sont le résultat d'une méprise, le boulot est bâclé par des remplaçants et des amateurs.
Albert Finney joue une sorte de Quichotte précoce, pas un vieux fou mais un déjà plus très jeune rêveur, fasciné par une littérature qu'il tente d'incarner.
Mais le film ne joue pas des possibilités humoristiques du décalage. Le résultat n'est ni une parodie, ni une satire ; une sorte de pastiche pas drôle, qui reprend paresseusement les codes du genre. Un méta-film sans substance.


Gumshoe est un cocktail potentiellement original, mais finalement sans saveur.

ChatonMarmot
10
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le 20 févr. 2018

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ChatonMarmot

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