Ce serait mentir que de dire que ce Halloween s'annonçait comme un bon cru, et être onzième volet d'une saga d'horreur n'est généralement pas bon signe. Archétype de la série de films qui se permet tous les hauts et les bas pour survivre, du changement de style complet (Season of the Witch, le troisième volet sous forme de standalone) aux remakes (Halloween, Halloween II de Rob Zombie) en passant par les inévitables suites et revivals, Halloween avait épuisé peu ou prou toutes ses cartouches ces quarante dernières années. Pas si étonnant lorsqu'on regarde Michael Myers en 1978 : antagoniste mutique doté d'une force surhumaine, le boogeyman devenu légendaire ne disposait quasiment d'aucun contexte personnel ni d'aucun pouvoir surnaturel explicite - si ce n'est celui de rester en vie, encore, toujours. A la différence d'un Freddy Krueger devenu aussi habile avec ses doigts en rasoirs qu'avec des punchlines hilarantes ou d'un Jason Voorhees capable de s'extraire de son corps pour posséder de ses victimes ou de les pourchasser jusque dans l'espace, Michael Myers reste "seulement" l'increvable fantôme qui hante Haddonfield. Alors, quand même Jason et Freddy ferment boutique à la fin des années 2000, après un éphémère comeback pour deux remakes qui feront plus de mal que de bien à leurs sagas respectives, on ne donne pas cher de la peau du tueur au masque blanc.


Ainsi, lorsque le comeback de Halloween est annoncé, difficile de s'attendre à une réussite. Quant au choix de faire une suite, une vraie suite, à l'époque des reboots, il semble plus risqué qu'autre chose. Sans compter une spécialité de la saga Halloween, qui est de faire table rase d'éléments des films précédents pour repartir sur de nouvelles bases, spécialité ici utilisée à son plus haut degré puisque Halloween 2018 fait abstraction de la totalité de la saga depuis Halloween 1978 - y compris Halloween 2, qui était pourtant la suite immédiate de son aîné et décrivait la deuxième partie de "la nuit où il est rentré à la maison"... Mais à l'écran, force est de constater que ce révisionnisme assumé fonctionne étonnamment bien. Les tics les plus grossiers des sagas d'épouvante - auxquels la série des Halloween avait fait la part belle - sont poliment écrémés, le film gagnant en finesse ce qu'il perd en mythologie. C'était, rétrospectivement, l'une des plus grandes forces de Halloween 1978 : l'absence d'une mythologie étoffée ou d'un background riche, se concentrant seulement sur la tuerie gratuite de l'imperturbable Michael. En ce sens, Halloween 2018 retrouve ces ingrédients et tire sa substance d'un background finalement pas beaucoup plus riche, puisque considérant que des 40 ans qui séparent Laurie et Michael de leur dernière rencontre, rien n'est connu.


Les nouveaux personnages, famille de Laurie en tête, parviennent pour autant à s'intégrer efficacement au récit. Les liens maternels distendus créent une profondeur tout à fait satisfaisante pour le personnage de Laurie, qui s'adapte ainsi à la carrière de sa fantastique interprète pour lui offrir un rôle évidemment plus fort mais aux cicatrices bien visibles. C'est toutefois moins le cas des autres personnages, qui pâtissent par moments d'une écriture que l'on sent moins inspirée, au détour de certaines scènes ou dialogues qui tombent vraiment à plat (Cameron, le docteur Sartain et Ray souffrent ainsi de moments qui laissent à désirer).


Ces scories sont cependant bien compensées par l'autre personnage principal, celui par qui la saga renaît. Difficile de bouder son plaisir devant le retour de Michael Myers, stupéfiant à chaque apparition, plus monolithique et obsédant que jamais. Halloween 2018 rend toute sa superbe au fameux personnage, s'accorde le temps de l'étoffer et lui offre un vrai terrain d'expérimentation narrative et visuelle. Sur le plan narratif d'abord, Michael tord régulièrement le cou au déroulé attendu du film, en supprimant des personnages qui apparaissaient aussi bien comme des protagonistes que comme des "intouchables" (des personnages centraux du premier acte ; l'enfant qui découvre le bus accidenté), réalisant en cela de nouvelles itérations inattendues à chaque meurtre. Sur le plan visuel ensuite, Halloween se montre aussi jubilatoire que généreux, et assume la violence froide et mécanique de Michael via des séquences graphiques enthousiasmantes qui réjouiront les amateurs du genre. Michael lui-même s'offre toutes les ingéniosités pour ne jamais apparaître de face durant la totalité du premier acte, mais conserve une omniprésence saisissante qui atteint son apogée lorsqu'il peut enfiler à nouveau cette seconde peau de latex ridée au cours d'une séquence tout à fait intense et à la hauteur des intentions des auteurs : faire voir et faire ressentir que Michael, "The Shape", est de retour. Et David Gordon Green, à la réalisation, s'en donne les moyens, notamment au cours du spectaculaire plan-séquence montrant le "retour aux affaires" de Michael à Haddonfield, dans ce qui reste l'un des moments les plus impressionnants du film.


Et si certaines scènes sont aussi magnétiques, c'est aussi que la musique y est pour beaucoup. Retraité de la réalisation mais désormais fort de trois albums solo et tournant à l'international avec son groupe, John Carpenter reprend les commandes musicales de ce Halloween et y effectue un travail de haute qualité. Composé de sons nouveaux et de variations autour du célèbre thème principal, pour un ensemble extrêmement convaincant et parfaitement produit, Halloween remet au goût du jour les sons clés de la grande époque des films d'épouvante et propose une des meilleures bandes originales de Carpenter à ce jour.


Ces éléments se condensent et convergent harmonieusement vers un dernier acte millimétré qui se cristallise autour du face-à-face entre Laurie et Michael. Duel à huis-clos presque sans parole, l'affrontement réserve un excellent moment de tension qui n'est pas sans rappeler les derniers instants dans le Nostromo d'Alien. Prenant le contre-pied des codes usés jusqu'à l'os des jump-scares habituels, Halloween 2018 rend la traque mutuelle des deux têtes d'affiche positivement saisissante, ne négligeant aucun élément pour peaufiner la crédibilité du comportement de Laurie comme la froideur monumentale de son ennemi juré.


Au final, malgré les quelques manques d'inspiration qui se ressentent dans certains dialogues ou scènes d'interactions avec les personnages secondaires, Halloween 2018 est un très bon opus qui se révèle de façon surprenante au-delà des attentes. Bravant les a priori, le film tire profit de l'excellente interprétation de ses deux têtes d'affiche, d'une réalisation à la hauteur de l'intensité du duel et d'une excellente bande originale pour infuser une atmosphère qui satisfera tout amateur du genre. Onzième itération de sa lignée, Halloween se positionne fermement en bon numéro et fera le bonheur des soirées d'Halloween pour les années à venir...

Minou
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le 29 oct. 2018

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Minou

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