Hamsun
Hamsun

Film de Jan Troell (1996)

7,25/10


Un film aride, difficile, mais d’une aridité sans doute nécessaire pour donner à voir la fin si disharmonieuse du plus grand poète de Norvège. Combien forte alors est l’idée de ces dialogues qui pataugent, de ces gens qui ne savent que dire, parlant mal ou se taisant faute de savoir s’exprimer, de ce poète bègue à la voix brisée ; de ces micro-scènes artificiellement juxtaposées; de ces personnages laids (avec ce contraste initial entre les lettres qu’écrivait Knut à Marie trente ans auparavant et leur visage désormais, détruit comme s‘il l‘avait toujours été, le passé ne surgissant que dans les bribes de l‘écrit, jamais dans l’imagerie plus joyeuse qu’amère du souvenir) à la langue rugueuse. Dès le début du film le spectateur comprend, par cette belle séquence appuyée par la merveilleuse musique du merveilleux Arvo Pärt, qu’il a affaire à un film de la fin, de la déchéance, commençant quand tout est joué, quand le temps a passé sur l’histoire des nations et des hommes. Hamsun lui-même n’attire aucune sympathie, borné dans ses principes impitoyables, mais il ne faut pas oublier que les premiers mots du film sont pour une lecture en voix-off d’une page lyrique du poète, qui rappelle seule une vie antérieure, une grandeur qui a existé dans cet homme sans grandeur. Le spectateur est ainsi habilement aiguillonné du mépris qu’il aurait pu éprouver pour ce vieillard irascible vers le regret de voir évoluer dans la non-poésie cet homme qui de l’immense poète qu’il était n’a plus qu’un nom omniprésent. Le film campe ainsi avec grand mérite certaines difficultés d’un engagement en ces temps sombres entre tous, tant est forte par moments l’empathie pour Hamsun, personnage impitoyable, antipathique, mais vieillard usé, éprouvé, qui prend conscience qu’il n’aura plus le droit à la mort tranquille qui faisait toute son espérance, pro-nazi, mais par amour pour la Norvège, et parce qu’il n’a pu s’en tenir à la philosophie de salon, pourtant le meilleur gardien des idéalistes. Max von Sydow l’incarne parfaitement dans ce qui est peut-être son meilleur rôle depuis son époque bergmanienne, un rôle grand, digne et non sans beauté; la plupart des autres acteurs sont également fort correctement choisis, parfois même fort bien (Terboven). Riche et intéressant, il souffre cependant de longueurs, notamment dans sa deuxième partie - ainsi peut-on penser que le film eût pu se clore sur les yeux fermés de Hamsun à la fin de son procès, en acceptant d’évacuer partiellement son beau Sur les sentiers où l’herbe repousse, sa réconciliation avec Marie, sa mort, que l’on aurait plus simplement pu suggérer, plutôt que de donner cette impression de morceaux artificiellement juxtaposés pour faire durer le film… L’achever sur les images naturelles qui l’avaient entamé ne constituait pas une mauvaise idée, mais il eût mieux valu en ce cas les prolonger, pour laisser le spectateur revenir à la poésie, à la musique d’Arvo Pärt, finalement frustrante plus que belle, voire assez insupportable, puisqu’il n’est pas donné de l’entendre plus que dix secondes, quand il eût semblé si naturel et si bienvenu de prolonger les « Fratres » dans le générique, plutôt que cette marche qui rompt si brutalement avec l’esprit dans lequel le spectateur doit quitter le film et prendre congé de Knut Hamsun... (critique de 2011)

XipeTotec
7
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le 26 août 2017

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