Hey, Ryan, si tu te croyais le roi du visage impassible, laisse-moi te dire que t'as encore du taf : regarde Takeshi Kitano and learn from the master.


C'est un détail qui m'a embêtée d'ailleurs : comment s'attacher à un personnage exprimant si peu ? Un personnage qui semble totalement coupé des autres, choisissant même parfois de ne pas leur répondre du tout, évoluant dans un silence absolu, tout juste entrecoupé de quelques tics nerveux du visage ? Nishi est un flic étrange et violent, obsédé par une fusillade sanglante au cours de laquelle un policier fut tué (selon lui, par sa faute), dévasté par le décès de son enfant et désormais au chevet de sa femme atteinte d'une leucémie. Autour de lui, ça ne va pas beaucoup mieux : son collègue se prend une balle au cours d'une fusillade et finit en fauteuil et seul, puisque sa femme et sa fille le quittent. Oui, tout ça. Kitano ne craint pas d'empiler les drames pour faire émerger la vérité des personnages. Ce qui m'évoque une phrase de René Char :



C'est quand tu es ivre de chagrin que tu n'as plus du chagrin que le cristal.



C'est un film qui traite du courage des hommes et des ressources intérieures qu'ils savent déployer pour survivre aux tragédies qu'ils traversent, et plus globalement, pour accepter leur finitude. Il peut s'agir, pour le flic paraplégique, de l'art, en l'occurrence la peinture : penché des heures sur son pointilleux ouvrage coloré, l'homme en oublie sa souffrance et son ennui.


Le film livre ses plus belles scènes lorsqu'il croise les arts : quand une balle tirée devient explosion de rouge sur la toile, quand le feu d'artifice qui éclate dans le ciel de nuit se fond en une fleur multicolore. Il y a une réflexion chez Kitano sur la représentation de la nature par l'art, on le voit quand le personnage s'arrête devant le fleuriste et que, soudain, l'inspiration lui vient, que quelque chose éclot en lui.


Sur cette scène en particulier, singulière, il y aurait également beaucoup à dire. Les visions qui naissent dans le regard de cet homme, qui font se superposer, dans un délire visuel sous LSD, fleurs et animaux, ont très clairement une connotation sexuelle dans leur esthétique (surtout les fleurs). Une façon pour le personnage de regagner les rives du vivant, de l'organique, du palpitant. Une véritable épiphanie pour le personnage, qui s'ouvre soudain à la beauté chamarrée du monde.


J'ai plus d'une fois pensé à Cold Fish de Sion Sono, en raison de ce mélange très étonnant de violence crue et de romantisme : Nishi reste un tueur implacable qui n'hésite pas à refroidir le moindre obstacle et, en même temps, c'est le genre de gars capable de braquer une banque (sans haine ni violence) pour offrir un romantic trip à sa nana et faire péter un feu d'artifice surprise, rien que pour ses beaux yeux.


Déroutant mais aussi très poétique, Hana-Bi est constamment habité par les principes du shintoïsme, par cette communion permanente entre l'humain et le cosmos : la mer, les arbres, le ciel, tout est sacré et objet de contemplation méditative pour l'âme troublée qui trouve dans la puissance immémoriale des éléments un intense réconfort.


Certains plans sont de véritables tableaux, magnifiquement mis en scène, et qui viennent faire écho à la thématique picturale qui file l'ensemble de l'oeuvre : cerisiers en fleurs, mont Fuji qui se devine dans la brume, mer nappée d'écume... Autant de respirations apaisantes qui contrebalancent la violence radicale de certains instants que, toutefois, j'ai trouvés par trop excessifs pour être crédibles (un coup de poing et bam, jet de sang de 3 litres - z'exagérez un peu quand même).


Pour ceux d'ailleurs qu'intéresse cette réflexion sur l'art, la peinture, la beauté tels que l'envisagent la psyché asiatique, je ne saurais trop conseiller la lecture des Nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar et notamment la nouvelle Comment Wang-Fô fut sauvé, qui traite du salut par l'art.


J'ai également été un peu déconcertée par la looooooooooongueur de certains plans séquences, alors je veux bien qu'on soit dans la contemplation mais là, pour moi, c'était un peu trop. D'autre part, le film a (presque) 20 ans et son image a un peu souffert du passage des années : grain un peu passé, photographie un poil vieillotte et - (je m'attends au torrent d'insultes) - bande-originale un peu kitsch, un peu trop téléfilm sirupeux et vintage des 90's.


Un film qui m'a donné envie de dessiner, de faire un tangram, des coloriages, de m'asseoir face à la mer pour réfléchir au destin, de rire pour un rien et d'aller me perdre dans la contemplation des fleurs aux mille couleurs.


Avec sa dernière scène violemment bouleversante, parfait reflet de son scénario, Hana-Bi m'a convaincue qu'il était un très grand film, foisonnant, visuellement très beau et soulevant de profondes questions existentielles - qui ne saurait se contenter d'un seul visionnage.

BrunePlatine
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le 2 nov. 2016

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