Une merveille. Une pure merveille. Ridley Scott a l’immense talent de savoir soigner sa mise en scène, et il nous offre un véritable délice visuel, épaulé par une musique somptueuse (c’est Hans Zimmer, avec cette bande originale, qui m’a redonné goût à la musique classique). Chaque personnage est posé, campé par un acteur de talent, et chacun interprète son personnage avec une réelle implication. Ray Lliota est tout simplement incroyable en salopard fini, parvenant à nous faire détester son personnage avec une hargne qu’on a rarement éprouvé au cours d’un film. Giancarlo Giannini est lui aussi merveilleux en agent vendu qui ira sacrifier un malfrat sans importance pour servir son appât du gain, avant de s’en laver les mains tel Ponce Pilate. La force des images qui le caractérisent, et la comparaison ambitieuse avec Judas achèvent de lui donner un rôle tragique et une sortie aussi gore qu’appropriée, la morale étant à ce stade de l’histoire exclue. Clarisse Starling, campée par une Julianne Moore vraiment touchante et à l’aise dans la peau du personnage (quoiqu’un peu plus détendue que Jodie Foster), est parfaitement à l’aise sur le terrain, et parvient vraiment à faire revivre le personnage de Clarisse Starling, et à retrouver l’émotion que le personnage ressentait dans l’œuvre de Thomas Harris. Bien qu’elle reste assez sobre durant toute la durée de l’enquête (jeu sobre devant Mason Verger, sang froid durant l’enlèvement de Lecter…), c’est LA présence féminine du film, dans sa dignité et dans ce qu’elle a de plus romantique, la belle ayant toutes les raisons de se méfier d’Hannibal, bien qu’irrésistiblement attirée par ce dernier, autant par devoir que par sentiments (ses regards lors des écoutes des échanges avec Hannibal, aménagés pour l’occasion, ne trompent pas). On regrette simplement cette frigidité finale, ce désir contenu par le devoir, mais nous y reviendrons. Son personnage, d’une grâce admirable en dernier acte, a tout de la présence féminine désirable, aussi sensible que dangereuse.

On en arrive enfin à Hannibal, qui crève tout simplement l’écran. La perfection du jeu d’Hopkins n’ayant besoin que de peu de commentaires pour être loué (ses intonations, ses mimiques, ses actions, rien n’est sans conséquences, tout est maîtrisé ou semble maîtrisé jusqu’au moindre détail, Hopkins est devenu Hannibal pendant 2 heures sans la moindre imperfection), j’en profite pour disserter plus longuement sur le personnage d’Hannibal, qui a beaucoup évolué. En effet, il passe du statut de psycho killer redoutable à celui de freak magnifique. Hannibal devient avec ce film le père spirituel de tous les freaks, l’emblème de la réussite des freaks. Hannibal est charismatique, il impose le respect, fait preuve des meilleurs goûts possibles, et il est lui-même un freak (et pas un des moindres). Mais il assume pleinement son statut, sans s'en revendiquer ni se prendre au sérieux, et parvient à le transcender, brillant en société et faisant éclater sa monstruosité à chaque moment opportun. Par lui, c’est une génération d’incompris qui le prend comme référent, car il représente la véritable réussite du freak en société, moral ou pas. C’est dire combien la fin du film peut blesser. En effet, le livre transcendait la victoire d’Hannibal, lui offrant enfin l’amour qu’il méritait sur un ton de romance douce amère qui touchait véritablement le lecteur. Ici, Ridley a été tiraillé entre les freaks et la société et il a cédé à la facilité (provoquant une nouvelle rupture avec les admirateurs du livre). Mais malgré cette trahison, cette fin reste travaillée, dans la lignée complète du film, et à défaut de nous offrir l’amour que nous espérions, le docteur, mutilé, reste valide, et continue d’agir comme un freak (le test culinaire final, ultime clin d’œil aux fans). On lui refuse l’amour, mais on ne lui refuse pas l’aura tragique qu’il méritait largement en compensation. Et ne nous plaignons pas, notre docteur est resté en forme avec quelques scènes gore du meilleur cru, dont une incroyable leçon de cuisine magnifiquement mise en scène dans le dernier acte, qui donnera vraiment un aperçu du savoir faire du docteur, imprimant nos rétines pour le restant de nos jours. Sincèrement, Hannibal est un film magnifique, un hommage au giallo italien comme nous l’adorons, vilipendé pour sa fin décevante ou sa violence amorale (ou simplement sa fascination autour du personnage délaissant le suspense attendu), destiné à partager les spectateurs, mais d’une telle perfection artistique à laquelle on aura rarement goûté. Le coup de foudre cinéphile, jamais rompu depuis ma découverte en 2006.

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le 17 oct. 2013

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Voracinéphile

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