Happyend
6.7
Happyend

Film de Neo Sora (2024)

Neo Sora signe, avec Happyend, son premier film de fiction et trouve d’emblée un style.


Le contexte : un Japon basculant dans la dictature, où le risque d’un tremblement de terre et, plus largement, la sécurité des ressortissants, servent de prétexte aux atteintes aux libertés, et où les étrangers, même natifs et dont la famille est installée là depuis des décennies, deviennent indésirables. C’est sur cette toile de fond dystopique que Neo Sora élabore une intrigue utopique.

Utopique, car elle montre les tentatives (collectives ou individuelles) d'un groupe d’ados pour déjouer les règles sociales de plus en plus contraignantes, défendues avec zèle par la police et intériorisées par les adultes (parents, profs, éducateurs) : et, contre toute vraisemblance, ça marche.


Ils s'y prennent comme ils peuvent pour tourner en ridicule les injonctions sécuritaires : revendication relativement radicale, farce quasi-artistique, immersion dans la musique, plongée dans les études… Selon les tempéraments et les milieux des personnages, les sentiments oscillent entre joie rieuse et angoisse muette, mais toujours dans une complicité entre eux, même si elle se distend par moments. Le film n'est pas feelgood et ne se berce pas d'illusions, laissant assez entendre que rien de bon ne sortira de ce que vivent les personnages – rien sinon précisément le fait qu'ils continuent à vivre en bricolant leur liberté.


Formellement, Happyend épouse et rend cet esprit d’improvisation adolescente, cette fragilité des ruses face à la norme. D’où une forme volontairement foutraque, qui fait alterner photographies brute (néons urbains, contrastes tranchés) et douce (lumière granuleuse des intérieurs), saturation électro et bande originale plus texturée (la musique de Lia Ouyang Rusli m’a fait penser par endroits à celle de Ryūichi Sakamoto, avant que je sache que Néo Sora est son fils et lui a consacré un documentaire…). Un fil narratif existe, mais le film progresse surtout par succession de scènes montrant ces jeunes aux prises avec des forces (extérieures et intérieures) qui leur échappent et surtout leur volonté de se libérer des carcans d’un monde qui entrave leurs désirs (jusqu'à inventer des dialogues entre des personnages qu’ils voient de loin sans les entendre).


Ce film est – a été pour moi en tout cas – de bout en bout jouissif, sans la complaisance qui parfois encombre les teen movies : ni voyeurisme, ni exaltation facile de la jeunesse. Ce sont bien des ados qui sont représentés : mais ce qu'ils représentent est, au-delà de leurs personnages, toutes les manières de faire avec et contre ce qui empêche l'épanouissement et l'émancipation.

LuigiCamp
8
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le 4 oct. 2025

Critique lue 165 fois

3 j'aime

LuigiCamp

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