C’est ceci, sans doute, ce que le cinéma fait de mieux – ou disons de plus spécifique : montrer, par une légère mimique ou un geste à peine amorcé ce qu’une âme traverse et que les mots échouent à dire. Il faut pour cela une immense qualité de jeu de la part des acteurs et actrices (une mention particulière pour Tayo Cittadella Jacobsen, remarquable dans son premier rôle dans un long métrage) et une direction d’acteurs tout aussi exigeante – comme celle de Dag Johan Haugerud dans le superbe film Amour, deuxième volet qu’il m’ait été donné de voir de sa Trilogie d’Oslo.
Construit comme une suite de fragments d’un discours amoureux, le film avance par les échanges – de paroles surtout – entre des personnages liés par l’amitié, le désir, la baise ou l’amour. Comme chez Bergman, mais aussi chez Rohmer, pour citer deux maitres du genre, le langage devient l’action du film : c’est lui – par ses hésitations, ses glissements, ses faux-fuyants – qui crée ou défait les liens, favorise ou réfrène le désir.
Et c’est admirablement bien fait, avec un humour tout en finesse, qui n’empêche pas que se déploie une infinie tendresse, parfois empêchée par une pudeur ou une impuissance des sentiments, parfois corrodée par de mauvais affects. Mais la tendresse est là quand même, sans jamais dégouliner ; le film me semble précisément dire ceci : combien c’est difficile, la tendresse, surtout celle qui ne se fabrique pas mais qui se vit dans la spontanéité des rencontres !
Or ce qui la rend à la fois difficile et possible, c’est de se décaler – sinon de se libérer – des normes et des usages sociaux, pour autoriser qu’advienne ce qu’ils empêchent ordinairement. La tendresse, comme le désir, comme le sexe sont une affaire complexe, qui demande un peu d’ambigüité, d’incertitude, de latitude – et beaucoup de sincérité.
Et c’est en cela que le film est authentiquement queer : non par ce qu’il proclamerait – il ne proclame rien ! –, non par le simple fait que s’esquissent des aventures non hétéronormées, mais parce qu’il donne à penser ce que peuvent gagner en richesse et en vivacité les relations humaines quand elles s’affranchissent des contraintes ordinaires et quand elles explorent des territoires inconnus. En refusant le spectaculaire et la leçon, Amour dessine une autre carte du tendre, où les mots ne sauvent pas, mais peuvent permettent de ne pas se perdre tout à fait. En cela le film me semble, sans le dire, faire de l’éthique amoureuse une question politique.