끝까지 간다 / A Hard Day (Kim Seong-hun, Corée du Sud, 2014, 1h51)

Il est des jours comme ça où, arrivé à un moment, on réalise que l’on aurait mieux fait de rester au lit. Des jours où rien ne se passe comme prévu, où tout s’enchaine de travers, inlassablement et en se cumulant. Voilà le genre de journée à laquelle est confronté le détective Ko Gun-soo, pour qui le jour de l’enterrement de sa mère rime avec malchance. Tout commence lorsque de retour des funérailles, après avoir bu quelques verres il renverse et tue un piéton.


À partir de ce point, qui sert d’introduction, durant près de 2h c’est aux mésaventures d’un véritable pied nickelé, enchainant les mauvaises décisions, que nous sommes témoins. Si le point de départ est plutôt dramatique, durant une longue partie du métrage les mésaventures de Gun-soo s’avèrent plutôt drôles, amusantes et presque légères, tellement est appuyé le burlesque.


Puis le métrage sombre dans l’horreur la plus noire, dans un glauque décuplé par une réelle violence. À la fois psychologique et physique. Sans s’en rendre spécialement compte, la position du spectateurice se déplace lentement du comique vers le polar hard-boiled des plus efficaces, n’ayant absolument rien à envier aux plus dignes représentants du genre.


Alors que la nature amusante s’estompe, prend place une aventure haletante, au suspens bien distillé. Le rapport que l’on peut avoir envers Gun-soo évolue avec lui. Entre le début et la fin du récit il n’est plus le même. De gros naze, fils ingrat, flic corrompu, meurtrier qui cherche à dissimuler son crime en cachant le corps de la victime, il passe petit à petit de bourreau à victime. Du bras cassé en bonne et due forme au flic voulûmant bad ass.


Le scénario de ‘’Kkeutkkaji Ganda’’ est très malin, et fait planer un faux-semblant en brouillant les nombreuses pistes afin de frapper là où c’est le plus inattendu. Et tout le film est construit de la sorte. Ce qui fait qu’il est difficile de s’ennuyer, et l’on ne peut que vibrer avec ce qu’il se passe. Aidé par un rythme soutenu du début à la fin, ce divertissement d’action rondement mené, proposé par Kim Seong-hun, est des plus rafraîchissants.


Virtuose dans son mélange des genres, il passe avec une réelle dextérité du rire au larme, du drôle au drame et de l’horreur à l’action. Alors que Gun-soo souffre de plus en plus, sans cesse de nouveaux éléments viennent l’éreinter davantage. Fort d’une excellente écriture, la texture du personnage se consolide en fonction de ce qui lui arrive. S’il apparaît antipathique, c’est tout simplement car il possède un caractère absolument humain.


‘’Kkeutkkaji Ganda’’, qui pourrait se traduire plus exactement par ‘’J’irais jusqu’au bout’’, est un titre parfaitement révélateur du parcours, quasi initiatique, de Gun-soo, par lequel il découvre avec virulence que la vie qu’il mène est des plus borderline. Surtout, elle n’est pas sans risque, et il y aura toujours une personne plus maline que lui, capable de le faire suer. Bien qu’il soit pourtant considéré comme le meilleur flic de son unité. Ce qui contraste avec son attitude.


Sous sa carapace de bad guy au grand cœur, de flic bourrin à tendance criminelle, Gun-soo est avant tout humain. Un élément que le métrage n’omet jamais. Avec ses failles et ses faiblesses, celles qui le mènent au travers de cette sombre aventure, il est incapable de gérer, au point d’en devenir fou. Froid et arrogant au début, le récit cherche à le fait évoluer positivement, en balançant ici et là, quelques détails d’une vie privée émaillée par le drame.


Gun-soo élève seul sa fille, gardé la plupart du temps par sa sœur. Énormément prit par son travail, c’est un père absent, un frère absent, c’était un fils absent. Un type tellement à fond dans son taf qu’il en vient à bafouer sa vie de famille, dans le sens large du terme. Et c’est un peu ce qui se retourne contre lui, car à se sentir omniscient et tout puissant derrière son badge et son flingue, le retour à la réalité n’en est que plus bourrin.


Assassin, même si c’est un accident, il cache le corps pour ne pas être inquiété. Ripoux, la Police des Polices mène une enquête sur lui et son unité. Corrompu, il a accepté des pots-de-vin. Alors que son univers s’effondre inexorablement, c’est toute son existence qui est mise en péril. Et ce qui aurait pu être l’histoire banale de la disgrâce d’un type peu recommandable, se transforme finalement en Iliade moderne, avec son anti-héros attachant en chute libre.


Véritable spirale infernale, l’arc narratif principal, qui emprisonne la psyché de Gun-soo, allant de l’accident de voiture jusqu’à l’ultime séquence, ‘’Kkeutkkaji Ganda’’ est un divertissement d’une grande qualité, un polar comme il s’en fait de moins en moins. Et c’est dommage, car à la vision du film se réveillent plusieurs souvenirs, notamment ces productions hollywoodiennes des années 1990, auxquelles le métrage de Kim Seong-hun fait complétement écho.


Il appartient à une race de production quasi disparue, où de plus en plus rare. Avec cet archétype d’un représentant de la loi et de l’ordre, qui ne les respecte pas lui-même, faisant appel à une grande violence pour exister. Toutes les conventions du genre sont ainsi convoquées avec une maestria évidente, que décuple une mise en scène minutieuse et inventive, qui embrasse de corps le protagoniste et son histoire.


Gun-soo est tour à tour filmé comme un type faible abusant de son statut, un type au bout du rouleau, un type malin, un type dépassé, un type qui ne lâche rien, etc, etc, etc… La multitude de sa personnalité est l’une des raisons qui fait que l’on ne s’ennuie jamais. C’est toujours surprenant, et ça ne se repose sur aucun acquis. Ce qui est parfois le piège de ce genre de production, proposant un personnage borderline, qui ne l’est pas vraiment, mais envers qui tout le monde semble en accord pour dire que si, il l’est.


Gun-soo n’est pas réellement un type bad-ass, il se donne ce genre pour inquiéter avec son badge et son flingue, qui lui permettent un peu tout. Mais en réalité, derrière ces objets de ‘’pouvoir’’ se cache un type fêlé, nuancé, bien plus riche que le simple archétype auquel il répond dans les premières séquences du métrage. C’est par son évolution, par rapport aux péripéties, qu’il se révèle tel qu’il est réellement.


Un divertissement vraiment bien foutu, ‘’Kkeutkkaji Ganda’’ est le genre d’œuvres rafraîchissantes qui apportent un regard différent, à défaut d’être nouveau, et fait preuve d’une grande générosité. Une vraie réussite donc, pour un film qui mérite d’être découvert, surtout à une époque où le genre Hard-boiled est de plus en plus rare. Un genre dont il se fait l’un des représentants les plus illustres. Ayant compris parfaitement toutes les codifications inhérentes à la réussite d’un vrai polars, avec tout ce que cela implique.


-Stork._

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le 16 mai 2020

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