Figurez-vous que j'avais complètement oublié ce DVD de Noboru Tanaka dans mes cartons. Divine surprise ? Oui et non.

Commençons par ce qui ne m'enchante guère. Avec Tanaka, je m'étais habitué à la beauté des images : la recherche de plans intelligents, une inventivité au moins dans les cadrages. Eh bien, ce film-ci n'a rien de renversant! Du point de vue esthétique, on peut même parler de pauvreté. Vraiment rare pour le signaler avec ce cinéaste. Attention, le film n'est pas laid non plus! On a vu des films "pinku eiga" visuellement bien plus médiocres. Celui-ci est filmé de façon tout à fait sensée, tout en cohérence.

Noboru Tanaka fait encore une fois la démonstration que sa mise en scène est pensée. Elle donne de la signification. Notamment le discours politique sur le Japon moderne est pour le moins clair. Il décrit un pays paumé dans sa modernité florissante. Le scénario est découpé en deux histoires parallèles que le montage associe non pas comme une discussion, mais plutôt pour obtenir de la part du spectateur un travail d'analyse, de comparaison et finalement laisser percevoir les contrastes et les similarités entre passé et présent, entre générations, entre sociétés.

Un couple entre deux âges, 40-50 ans, s'encanaille en organisant des petites sauteries avec d'autres couples. Le nouvel élan qu'ils offrent à leurs vie sexuelle est à la fois réjouissant (ils se payent une nouvelle jeunesse) et problématique, car ils en oublient leur fils. Ce dernier est le personnage central de la seconde histoire. En quelque sorte abandonné, ou du moins oublié par ses parents, ce gamin sort avec difficulté de l'adolescence. Peut-on faire plus perdu ? Kleptomane, sans profonde osmose avec sa petite copine, il file un mauvais coton. Mais il rencontre une fille un peu plus âgée, en tombe amoureux et découvre des pans entiers de sa personnalité qui n'avait jamais soupçonnés, notamment sa part féminine.

Avec le travestissement, la thématique de l'altérité est évoquée avec beaucoup de simplicité, de sensibilité et de naturel. C'est là qu'on trouve l'aspect politique le plus frappant, quand cet homme habillé en femme et une amie hippy se font agresser par des hell's angels se prenant alors pour des hérauts du conservatisme nationaliste le plus extrême. Les rebelles sont plus arriérés que les bourgeois. Difficile d'expliquer cette absurde retournement de situation.

Tanaka insiste à la toute fin en montrant par une série de plans fixes ce qu'on appelle en langage de géographe l'étalement urbain, la métropolisation en marche, qui explose en effet depuis des années 60 n'en finissant pas de transformer le Japon moderne en une ville gigantesque de Sendai à Fukuoka. C'est dans ce cadre en effet que ce nouveau couple se forme : entre ville et campagne, dans une zone interlope où les repères traditionnels sont faussés. Ainsi la sexualité libérée des parents comme celle de leurs enfants paraissent permettre l'ouverture, la tolérance ou au contraire susciter le rejet, voir la violence.

On aura noté que Noboru Tanaka est un cinéaste du regard. Dans ses autres films il me semble que ce sont surtout les femmes qui étaient au centre de son attention. Sans être aussi systématiquement féministes que ceux de Mizoguchi, certains des films de Tanaka le sont ouvertement et manifestent avec force ses convictions.


Or, sur ce film, c'est le regard des hommes avant tout qui interpelle. Même si celui des femmes est également interrogé. Tanaka aime à mettre en scène ses voiles qui passent parfois devant les yeux d'un personnage. Il faut voir les yeux hagards du mari sidéré devant l'explosion de plaisir que connaît sa femme dans les bras d'un autre : il y a de la surprise certes, mais également de la fascination, du désir et une forme d'incompréhension admirative. C'est un monde nouveau qui s'ouvre à lui. Très émouvant.

Que dire du regard que porte le jeune homme sur lui-même, à travers le regard de la femme qui l'aime et qui l'accepte. La femme miroir lui renvoie une image positive pour la première fois de sa vie, il ne se sent plus abandonné. Et tout passe par la façon dont il se regarde lui-même : stupeur, joie, là aussi le monde se réveille. L'heureux événement, la naissance d'une nouvelle existence pour le personnage n'a pas de mots. Tanaka se contente de nous le faire lire dans ses yeux. Et pourtant, je ne peux pas dire que le comédien (Akinori Nozawa) soit époustouflant.

Mais Tanaka parvient comme souvent à tirer de sa distribution le meilleur. Avec pas grand-chose, sa mise en scène va chercher l'essentiel et le souligne. Si je ne suis pas ravi par la forme de ce film, je suis toutefois encore épaté par l'audace du propos. Le parti pris iconoclaste de Tanaka ne se dément pas.

Comme il s'agit d'un pinku eiga, deux autres éléments du genre sont récurrents chez Tanaka et à mettre en exergue.

D'abord, il sait choisir ses comédiennes. Ako est peut-être un peu moins charismatique que beaucoup d'actrices avec qui il a travaillé, mais elle est parfaite pour ce personnage ambigu. Adulte, pas tout à fait sorti de l'adolescence, sa bouille ronde et souriante est comme en décalage avec les lignes fermes et pleines de son très joli corps. De même Yudo Yoshikawa qui joue la belle-mère a une beauté mature qui se tient très bien dans le cadre étroit de ce personnage timide mais avide de plaisir. Encore très belle femme, elle joue très bien ces scènes érotiques. Bah oui, ce n'est pas un exercice facile, donné à tout le monde! Il y en a qui s'en tire haut le nichon et Mme y excelle !

Autre petit détail de mise en scène qu'on peut reconnaître chez Tanaka, comme chez d'autres cinéastes du roman porno, c'est le rôle d'exhausteurs sensuels donné à ces gouttelettes de sueur qui perlent sur les corps. Dans nos sociétés de plus en plus policées, les phéromones et autres émanations corporelles ont tendance à être rejetés par les nouveaux hygiénistes de la planète ou du moins de ceux qui croient en détenir les rênes. Et de voir ses vieux films érotiques des années 70-80 se révèle un petit exercice de retour à la nature salutaire. Ça sent sous les bras avec Tanaka et j'aime ça !
Alligator
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le 28 oct. 2013

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