Hardcore
7.2
Hardcore

Film de Paul Schrader (1979)

Hardcore m’avait été conseillé il y a quelques mois par un camarade de la communauté SensCritique. Totalement inconnu au bataillon, ce film semblait toutefois bien digne d’intérêt, rien que par le fait qu’il soit réalisé par le scénariste de Taxi Driver, dont la réputation n’est plus à faire. Le titre du film et son pitch annonce d’emblée quelque chose de violent et d’alléchant, et il était temps d’enfin découvrir ce film relativement méconnu et pourtant de haute volée.


C’est dans l’ambiance de Noël, devant des images d’une ville couverte de neige, de réunions familiales, et sur fond de musique country qu’Hardcore s’ouvre. Tout ce qui compose l’image de l’Amérique modèle et unie est présente. Tout n’est qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté, nous dirait alors Baudelaire. Cette Amérique fidèle aux traditions, conservatrice mais en paix, va pourtant être le théâtre d’une déchirure, de l’effondrement d’un monde, celui de Jake Van Dorm, père de famille veuf qui élève encore sa fille, adolescente, dans un cadre très patriarcal et régi par les traditions calvinistes. Hardcore va mettre en scène la chute, la destruction de ce cadre pacifique et exemplaire. Apprenant la disparition de sa fille, Jake fait rapidement la terrible découverte dans une scène mémorable où George C. Scott parvient à nous transmettre un puissant flux d’émotions. Jusqu’ici capable de protéger sa fille de tous vices, il la voit s’y adonner sur l’écran d’une salle de cinéma, qui va devenir pour lui la porte d’un Enfer qu’il avait jusqu’ici fui et dénoncé.


Car Hardcore, c’est bien l’histoire d’une descente aux Enfers, le passage brutal d’une vie tranquille dans un quartier calme et enneigé, aux bas-fonds d’une société nocturne, s’adonnant aux plaisirs primaires, où le sexe est omniprésent, sur les façades des cinémas, dans des boutiques, sur les trottoirs… Jake le calviniste, le chef d’entreprise à succès, le père de famille modèle et strict, se retrouve plongé dans cet univers hostile où il est bien désarmé, comme l’indique la chanson « Helpless » qui tourne lorsqu’il parcourt un sex-shop. Jake fait face à son propre calvaire, son chemin de croix, c’est un « pèlerin » comme le surnomme le détective qu’il a engagé pour retrouver sa fille. Il se rend alors compte, peu à peu, que le monde dans lequel il vit n’est pas celui qu’il imaginait. Que s’il a réussi à se protéger lui, mais aussi sa fille, de tout cela, grâce à des règles strictes, tout cet univers nocturne et tabou existe autour de lui, qu’il le veuille ou non.


Lorsque Jake retrouve enfin sa fille, il doit faire face à la terrible vérité. Si elle s’est retrouvée dans des films pornographiques, ce n’est pas contre son gré, mais bien selon sa volonté. Elle l’a fait pour s’affranchir du joug de son père, des traditions qui l’oppressaient et lui empêchaient de vivre sa vie comme elle le souhaitait. Cette imagerie sexuelle et le choix de la pornographie est symbolique du passage à l’âge adulte, de cette volonté d’indépendance et de libre-arbitre, loin de vieilles traditions qui ont largement vécu. On retrouve ici un point de convergence avec Le Lauréat, dont je parlais récemment. Bien qu’ici l’angle d’attaque soit radicalement différent, on constate une volonté de mettre le spectateur face à la réalité, à lui montrer que le monde n’est pas tout rose, et que la société tend à inexorablement s’éloigner de traditions installées depuis longtemps. De plus, d’un point de vue purement cinématographique, Hardcore met également en images l’explosion du cinéma pornographique dans les années 1970, une autre vérité relativement tabou, mais qui ne peut être niée.


Hardcore est un film bourré de symboliques, au-delà d’être remarquablement bien écrit et bien mené. Bien que le film subisse quelques longueurs après un démarrage en trombe et avant un final fort, il n’en demeure pas moins marquant, avec une imagerie très violente et colorée qui, parfois, nous ferait penser au Suspiria de Dario Argento. On sent que, pour son film, Paul Schrader reprend des composantes du scénario de Taxi Driver, qu’il a écrit, notamment à travers le personnage de Niki, qui rappelle beaucoup celui de Jodie Foster dans le film de Martin Scorsese. La violence du choc entre l’image d’une Amérique modèle et traditionnelle, et celle d’une Amérique nocturne et souterraine, témoin de l’explosion du cinéma pornographique, donne ce Hardcore, un film qui gagnerait à être connu davantage.

JKDZ29
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films de 1979 et Vus en 2017 : Pérégrinations cinématographiques

Créée

le 30 déc. 2017

Critique lue 363 fois

1 j'aime

JKDZ29

Écrit par

Critique lue 363 fois

1

D'autres avis sur Hardcore

Hardcore
oso
7

Un threesome pour l'abé

Peu importe que vous soyez plutôt cuir ou velours, blonde ou brune, vertueux ou pêcheur, Hardcore ne fait que peu de cas de vos apparences, elles sont certainement trompeuses de toute façon. Du...

Par

le 22 déc. 2014

15 j'aime

2

Hardcore
Truman-
8

Critique de Hardcore par Truman-

Second film de Paul Schrader et pourtant ce "Hardcore" (titre qui colle bien à l'ambiance du film) n'est pas un métrage très connu . L'histoire nous plonge dans une petite famille de catho lorsque la...

le 1 juil. 2014

14 j'aime

Hardcore
Play-It-Again-Seb
7

Pornographie puritaine

Quand Paul Schrader s’attèle à Hardcore, il n’a que 33 ans mais déjà une sacrée carte de visite. Scénariste de Yakuza, Taxi driver, Obsession et Légitime violence, il a aussi mis en boite lui-même,...

Par

le 4 janv. 2023

12 j'aime

7

Du même critique

The Lighthouse
JKDZ29
8

Plein phare

Dès l’annonce de sa présence à la Quinzaine des Réalisateurs cette année, The Lighthouse a figuré parmi mes immanquables de ce Festival. Certes, je n’avais pas vu The Witch, mais le simple énoncé de...

le 20 mai 2019

77 j'aime

10

Alien: Covenant
JKDZ29
7

Chronique d'une saga enlisée et d'un opus détesté

A peine est-il sorti, que je vois déjà un nombre incalculable de critiques assassines venir accabler Alien : Covenant. Après le très contesté Prometheus, Ridley Scott se serait-il encore fourvoyé ...

le 10 mai 2017

76 j'aime

17

Burning
JKDZ29
7

De la suggestion naît le doute

De récentes découvertes telles que Memoir of a Murderer et A Taxi Driver m’ont rappelé la richesse du cinéma sud-coréen et son style tout à fait particulier et attrayant. La présence de Burning dans...

le 19 mai 2018

43 j'aime

5