On a bien le droit, de temps à autre, de baisser la garde.


Harold et Maude pourrait être facilement fustigé pour sa petite mélodie un peu trop didacticopoétique, ses leçons de vie et ses bons sentiments, sa crédibilité flageolante et son formalisme un peu maladroit.


Pourtant, un je ne sais quoi donne à ce film un caractère atemporel, tout en étant profondément ancré dans une époque depuis longtemps révolue. Un humour un peu grinçant, un art du running gag en arrière-plan par cette multitude de tentatives de suicide qui annonce joyeusement l’esthétique des ZAZ, un art de la caricature permettent de mettre le doigt sur le charme un peu singulier du cinéma d’Hal Hashby, et de cet opus en particulier.


Il n’est pas nécessaire de croire à toute cette farce. Sa facticité, comme celle, de nos jours, de Wes Anderson par exemple, est clairement assumée, et c’est là que réside l’intérêt de l’intrigue. Le concept même de comédie est au centre des comportements : comédie sociale pour la mère qui veut à tout prix mettre son fils sur les rails de la convenance, comédie morbide du fils qui multiplie les appels au secours non sans un certain goût pour le grotesque, comédie enfin pour Maude, qui déguise ses blessures sous un masque fantasque et un projet de joie militante jusqu’à la contestation.


Cette mélancolie qui n’oublie jamais l’autodérision comme palliatif à l’abattement préfigure aussi, d’une certaine manière, les dépressifs de Garden State : puisque le monde est triste, autant ruer dans les brancards et le faire en poétisant ce qui reste à en sauver, à savoir ce que les gens sérieux délaissent. Le sens du détail inutile, voire de la pose affectée devient une voie possible d’un remède à l’absurde, quand bien même il passerait, paradoxe délicieux, par le non-sens.


Ajoutons à cette esthétique tendrement décadente un art du paysage traversé par une voiture roulant, dans tous les sens du terme, à tombeau ouvert, des couleurs pastels que le temps patine et, surtout, la musique indispensable de Cat Stevens, et un petit objet culte, diamant mal taillé et mi enfoui dans la gaucherie, a tôt fait de livrer ses éclats. Un tatouage, une falaise, un corbillard, un amour, la mémoire, le deuil : à l’issue de cette virée dégingandée, le ciel est bleu et l’horizon reste envers et contre tout encore plein de promesses.


(7.5/10)

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le 25 nov. 2019

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Sergent_Pepper

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