Porter le même nom que l'un des plus grands explorateurs de l'histoire du monde et s'avérer aussi peu visionnaire et aventurier, l'ironie ne manque pas de saveur.


Ne vous méprenez pas : j'aime bien Chris Columbus (dont c'est le véritable nom, son prénom complet étant d'ailleurs Christopher - oui, papa et maman Columbus ne manquaient ni d'humour ni d'espoir en l'avenir de leur rejeton). Son cinéma ne me dérange pas, et j'avoue sans honte avoir passé de bons moments devant Maman, j'ai raté l'avion et Mrs Doubtfire (l'interprétation extraordinaire de Robin Williams n'y étant pas pour rien).


Dans l'affaire Harry Potter, il faut lui reconnaître en outre un mérite essentiel : celui d'avoir essuyé les plâtres. Vingt ans et dix films plus tard (en comptant les deux - très dispensables - Animaux fantastiques), l'exploit ne paraît plus si grand que cela.
A l'époque, on parle de transposer à l'écran l'un des plus grands succès littéraires mondiaux, dont l'écriture du reste n'est pas terminée - le premier film sort un an après la parution en librairie du quatrième tome, Harry Potter et la Coupe de feu.


Il suffit de jeter un œil à la liste des réalisateurs prétendant au poste pour mesurer l'enjeu de la chose. Fantasme ou réalité, on évoque en vrac Terry Gilliam (ça aurait été intéressant à voir !), Robert Zemeckis, Mike Newell (qui réalisera finalement le quatrième), Ivan Reitman (Ghostbusters), Joe Dante, Jonathan Demme, Peter Weir...


Mais le premier des noms qui émergent alors, celui qui excite la curiosité et contribue sérieusement à faire monter la hype Potter au septième ciel, c'est celui de Steven Spielberg.
Le réalisateur est alors au sommet de son influence. Il sort d'une décennie monstrueuse, émaillée du triomphe majeur au box office de Jurassic Park, de sa consécration professionnelle grâce à La Liste de Schindler et Saving Private Ryan (qui lui valent ses deux Oscar de meilleur réalisateur, et un de meilleur film pour le premier), et de la fondation de son propre studio, Dreamworks.


A l'époque, quand Steven éternue, toute la profession lui tend un mouchoir. Son intérêt pour une saga mettant en scène le parcours initiatique d'un jeune garçon dans un monde de magie paraît d'une évidence absolue.


Sauf que Spielberg, comme à son habitude, a des idées précises sur ce qu'il veut faire. A commencer par son acteur principal : pour incarner Harry Potter, il rêve de Haley Joel Osment, le gamin exceptionnel qui contribue largement à faire du Sixième Sens de Shyamalan le chef d'oeuvre qu'il est
Problème : Osment est blond et bien coiffé. Surtout, il est américain. Or, J.K. Rowling, l'auteure des livres, très impliquée dans le projet d'adaptation, exige que tous les acteurs sans exception soient anglais. Elle tient - à raison - au caractère éminemment britannique de son histoire.


Exit donc Master Spielberg, bonjour Chris Columbus. Héritier du papa de E.T., pour qui il a écrit les scénarios de Gremlins et Les Goonies. Américain, lui aussi, mais beaucoup plus docile. Et sans doute sidéré de se voir remettre les clefs d'un camion aussi gros et aussi rutilant.


Le moins que l'on puisse dire, c'est que le garçon remplit le cahier des charges. Bien proprement, d'une belle écriture ronde et appliquée, sans dépasser dans les marges et sans faire de pâté.
Si l'imagerie est à la hauteur de ce qu'on était en droit d'attendre - la première apparition du château de Poudlard, de nuit, arrache des frissons de plaisir -, l'ensemble du film est à l'image de son sujet : scolaire.
Pour ce premier Harry Potter, Columbus se sublime. Jamais sans doute il n'a repoussé aussi loin ses compétences techniques. Cet effort majeur ne le transforme pas en génie, mais au moins il se tient droit face au projet. Rien n'est cheap : ni les décors, somptueux ; ni les costumes (bien qu'un peu empesés parfois, à l'image de ceux portés par Richard Harris, alias Dumbledore) ; ni les effets visuels, propres et solides ; ni la mise en scène, classique mais sérieuse.


En outre, le réalisateur est bien entouré. Le décorateur Stuart Craig visualise un Poudlard proprement magique.
John Williams - musicien emblématique de... Steven Spielberg, tiens donc - signe une partition éblouissante, l'une des authentiques composantes géniales du projet, traversée de thèmes inoubliables qui sont entrés dans l'histoire du cinéma. Prouvant au passage que le vieux maître est loin d'être mort et enterré, et en a encore sous sa semelle de compositeur.


Le casting joue également un rôle essentiel dans la joie des spectateurs. Merci, Mrs Rowling, d'avoir insisté pour puiser exclusivement dans le vivier des comédiens britanniques.
Ceux qui sont retenus dès ce premier opus, et qui presque tous iront au bout de la saga cinématographique (en fonction du destin de leurs personnages, évidemment), investissent si entièrement leurs personnages qu'il est difficile, aujourd'hui, de penser à ces créatures de papier parées d'un autre visage que celui de leurs interprètes.


Magnifiques Maggie Smith (Minerva McGonagall jusqu'à la pointe des moustaches de sa métamorphose en chat), Robbie Coltrane (émouvant et maladroit Hagrid), Warwick Davis (le minuscule professeur Flitwick, que l'on voit trop peu d'ailleurs), David Bradley (splendide Rusard, drôlement misérable et ce qu'il faut de cruel), Richard Griffiths et Fiona Shaw (les Dursley, couple de comédie pathétique, Thénardier bourgeois boursouflés de bêtise et d'égoïsme)...


Et surtout, surtout, fabuleux Alan Rickman, né à l'évidence pour devenir Severus Snape. Tout au long de la série, la largesse de sa palette lui permettra de décliner les nombreuses et subtiles zones d'ombre et de lumière du plus beau personnage de la saga.


Du côté des enfants, la palme revient déjà à Emma Watson, dont on devine dès ce premier opus la carrière fulgurante qui se présente à elle. Les autres habitent sans flotter dedans les habits taillés avec précision de leurs héros, de Tom Felton - qui jubile à pincer son sale petit nez de Draco Malfoy - à Rupert Grint - naïvement roux jusqu'au bout des sourcils - en passant par Matthew Davis (joyeusement catastrophique Neville Longbottom) et les jumeaux Phelps/Weasley.


J'ai laissé de côté, à dessein, les deux acteurs qui me semblent les plus empruntés. Richard Harris figure un Dumbledore imposant, hautement respectable, dont les clins d’œil ironiques rappellent aussi la malice. Il lui manque néanmoins l'agilité, la vivacité que l'aspect vénérable du personnage dissimule souvent.


Quant à Daniel Radcliffe... J'adore ce garçon. Y compris aujourd'hui, dans sa manière audacieuse de mener son chemin loin des sentiers battus, hors de toute facilité - ce qui laisse croire aux observateurs peu attentifs que sa carrière est à l'arrêt... J'adore l'espièglerie de son regard, son humanité évidente.
Mais à onze ans, lorsqu'il endosse pour la première fois la cicatrice en forme d'éclair de Harry Potter, son jeu paraît tout de même assez limité. A l'occasion touchant, mais pas bouleversant (la scène du Miroir du Riséd). Plus effacé que dépassé par le virage tonitruant de l'histoire de son personnage. Il est tout en grands yeux bleus (hé oui, pas verts, comme dans le livre...), bouche bée et chevelure trop sage, loin des mèches en pétard de Harry.


La direction sage de Columbus le cantonne sans doute à ce registre. On découvrira, avec Cuaron et Newell notamment, que le garçon, plus expérimenté par ailleurs, sera capable de davantage. Mais jamais de transfigurer son personnage, dont le caractère mythique, doit-on dire à sa décharge, était sans doute impossible à habiter entièrement.


Au scénario, Steve Kloves (qui écrira les scripts de presque tous les films, à l'exception de L'Ordre du Phénix), soutenu par Rowling qui répond à nombre de ses questions, se sort honorablement de la gageure représentée par l'adaptation d'un roman certes bref, mais foisonnant de détails.
La trame du livre est ainsi parfaitement respectée. Les éléments majeurs de son intrigue, ainsi que les premiers enjeux de la saga, se mettent en place avec fluidité. Il manque des choses, c'était inévitable. (Nous sommes sans doute nombreux à regretter l'absence de l'esprit frappeur Peeves, bien présent dans les livres, et totalement effacé dans les films). Mais Steve fait le job.


En tout cas, d'un point de vue technique. Car dans l'esprit, c'est autre chose.
En proposant une adaptation aussi fidèle, ventousée au texte, Chris Columbus ne réinvente pas la matière Harry Potter. Il assure brillamment le fan service ; l'énorme succès du film et la satisfaction globale des supporters de Harry (dont moi) valident ses choix. Mais il se contente d'une illustration, certes rutilante, qui donne au résultat un je ne sais quoi d'inachevé.
Le sentiment d'être passé à côté d'une aventure plus grande, plus émouvante, plus impressionnante, plus exaltante.


Lorsque vient le moment des adieux sur le quai du Poudlard Express retournant vers notre monde sans magie, lorsque le train s'éloigne dans un sifflement puissant, laissant la silhouette géante de Hagrid paraître bien petite soudain dans les panaches de fumée de la locomotive, j'avoue tout de même que mon cœur s'est serré.
Ces deux heures trente de projection, finalement, étaient passées trop vite...


Pour nous Moldus, la porte du monde des sorciers est néanmoins bel et bien ouverte. Et l'envie de franchir à nouveau le portail majestueux de Poudlard, vivace et impatiente.

ElliottSyndrome
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le 19 avr. 2020

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