Jonze s'est trompé d'étage Her !
Theodore Twombly est une espèce en voie d'extinction : écrivain public. Il trouve les mots pour les sentiments des autres alors qu'il parle des siens avec une certaine maladresse. Désabusé, mélancolique, englué dans un divorce qu'il peine à digérer, il se paye un nouveau système d'exploitation révolutionnaire. Un OS1 capable d'éprouver des sentiments, de faire l'amour vocal (et non oral bande de pervers) et d'hésiter au début de chaque phrases, de buter sur des mots, même faire preuve d'un humour 8bits... (la scène de la sodomie sous l'aisselle, un grand moment de finesse et de poésie, si si si je vous assure).
L'humanisation de cette IA est crédible car elle hésite, elle ressent, elle anticipe et surtout, elle ment. Théodore et Samantha sont faits pour s'entendre. Il ment dans ses lettres pour provoquer l'émotion des lecteurs. Il se substitut, une sorte de Cyrano moderne, qui dicte son amour à Roxane sous la plume de Christian. Samantha, elle, est programmée pour le même travail. Elle s'adapte à son propriétaire pour qu'un lien empathique se tisse. Et comme chez Théodore, ce lien est partagé, réciproque. On voit comment Amy va suivre le même chemin. Théodore et Samantha sont des vendeurs de sentiments, des traders d'amour. Le bonheur est un produit qui se vend en kit.
Tout le long du film, on assiste à la disparition des relations humaines. Les gens se croisent dans la rue mais sont connectés ailleurs, les couples physiques se brisent, les couples virtuels se forment. La quintessence de la relation humaine, l'acte physique d'amour, le sexe, s'efface au profit du sexe vocale. La réalité, le physique ne comptent plus. Le virtuel, l'intellect, l'esprit, s'installent.
Dans ce monde futuriste mais pas trop, tout le monde se croise sans se voir, uniquement relié aux autres par excroissance auditive. La génération Facebook à son apogée. Un réseau d'humains qui se coupent des relations physiques. Nos descendants sont mures pour le débarquement des IA et des relations virtuelles.
Et bien non. Tout cela passe à la trappe car M. Jonze se concentre sur la relation fermée entre T. et S. Jusque dans sa mise en scène, plan serrés, caméra tantôt tremblotante, tantôt vaporeuse, Spike Jonze s'enferme sur ce couple banal, aux échanges sans reliefs. Et c'est bien là le comble, Samantha est une IA tellement bien programmée qu'elle imite à la perfection l'humaine de base. Passée la première demi heure alléchante, on regarde défiler une énième comédie romantique. Une relation par téléphone de 1h30. Du blabla sans saveur, des états d'âme dignes de l'âge d'or AB prod. Seul à l'écran, Joachim Phoenix regarde le plafond, le sol, la baie vitrée de son appartement. Il joue très bien le gentil qui répond au téléphone. Je pense que cette expérience de tournage doit se rapprocher d'un Hobbit qui se tourne intégralement sur fond bleu, vert si le réalisateur est écolo.
Si la crédibilité du couple est réussit, suivre son développement oscille entre le l'insipide et le mièvre. L’humour puise dans le registre de la blague Carambar ou du vulgaire gratuit. Des échanges culturels ? Niet ! Vont-ils au ciné, au resto, au musée, au théâtre ? Niet, niet, niet et niet ! Non, ils discutent de leurs sentiments le plus normalement possible. Soyons honnête, le même film avec Samantha incarnée dans un corps cyberviande à la Cylon ou Répliquant et tout le monde cassait du Spike en chœur. On s'ennuie car à part quelques scènes ou l'absence physique de Sam est mise en avant (scène du trio sexuelle entre autre), on voit seulement évoluer un couple lambda.
Samantha n'est qu'une voix (voir la parabole christique à la fin de ma critique), la tradition orale est de retour, le culte de l'image semble révolu dans ce futur. Voix, vibration, résonnance, communion. Et ben non ! Le Spike pendant ce temps il filme un couple tronqué, notre Théo-pantalon-moche-en-tergal qui se laisse aller à des scènes d'une folle originalité avec sa copine cyclope épinglé sur son cœur... oui, oui, oui, trèèèès recherché. On devine que le petit œil humide, 40 millions de pixels, de Sam n'en manque pas une miette. N'ayant pas de corps, Sam nous évite la scène de promenade main dans la main sur la plage (avec soleil couchant sur fond bleu), la dégustation de glace avec une cuillère pour deux et le retour impromptu de l'ex qui vient récupérer ses chaussettes.
Ce couple gentiment niais est incapable de romantisme, de poésie, de réflexion. Il y a bien sur quelques beaux moments, quand Sam disparait, la panique de Théodore et ce demi-aveu sur l'infidélité de Sam. 641 autres amants. Nos chers polygames peuvent se rhabiller.
Il a fallut la scène de "rupture" pour que l'histoire de ce couple parvienne à me réveiller. L’incompatibilité physique devient spirituel, Sam vit à présent dans les espaces entres les mots, Théodore vit pour et par les mots. Sam n'est qu'une voix, rappelons-le. Cette image est belle, emplie de poésie, mise en image de façon délicate avec cette poussière, ces flocons de neiges en suspension (les mots) dans l'air (l'espace). Si peu de mots pour tant d'espace.
Sur la fin, on devine une filiation quasi christique avec ces bâtiments comme des cathédrales, verticaux et démesurés, Samantha, la voix, le pur (saint) esprit, un deus ex machina d'amour, venu réconcilier les hommes et leur apporter un message d'amour. Et notre Théodore ? En grecque Théo veut dire... Bref, M. Jonze veut-il nous dire que le véritable amour est spirituel ? Non, il vaut mieux faire un beau dessin de coït analo-aisselles sur écran tactile.
Et lorsque que Sam et ses congénères s'en vont, que la technologie disparait, les liens se reforment, les humains se retrouvent, Théodore et Amy, sur le toit d'un immeuble, le regard posé sur toutes ces lumières qui abritent dissimulent une personne à rencontrer. Bonne nouvelle ! Nous ne sommes pas seuls !
Dommage que tout cela arrive si tard et soit si fugace. Il y a avait tant à dire, tant d'idées à développer et Spike Jonze a fait le choix du réalisme doucereux d'un couple normal. Quel gâchis !