Her
7.6
Her

Film de Spike Jonze (2013)

Et si la technologie nous compliquait la vie au lieu de nous la simplifier ?

C’est tout le propos de Her, le nouveau film de Spike Jonze qui sortira sur nos écrans français le 19 mars. Joaquin Phoenix y interprète le rôle de Théodore, un rédacteur de lettres personnalisées pour le site beautifulhandwrittenletters.com. Théo passe la plupart de son temps seul, à jouer aux jeux vidéos, à composer sur son ukulélé ou à se remémorer douloureusement les meilleurs moments partagés avec son ex-femme. Le regard éteint et le sourire triste, Théodore est un solitaire renfermé, jusqu’au jour où il tombe amoureux de son assistante : Samantha.

Rien de bien nouveau… Sauf que Samantha est un OS, un logiciel intelligent doté de sa propre personnalité et de sa propre voix (celle de Scarlett Johansson). Son seul but est – du moins au début - d’aider son propriétaire à utiliser son ordinateur et son téléphone. Organiser un emploi du temps, corriger les fautes de grammaire et d’orthographe, créer des playlists, Samantha sait tout faire. A mesure que la proximité grandit, une complicité s’installe entre les deux personnages. Rapidement, Théodore a du mal à se passer de sa nouvelle amie et ne quitte plus l’oreillette reliée à son téléphone qui lui permet d’entendre les conseils, mais aussi les blagues, de sa confidente virtuelle.

Tout bascule après une soirée trop arrosée. Les langues se délient peu à peu et l’union est consommée, du moins verbalement. J’entends déjà des septiques… Pourtant, cette romance partiellement virtuelle devient complétement plausible grâce à une réalisation audacieuse et intelligente. Spike Jonze ose intercaler le point de vue de Théodore (le son et l’image) et celui de Samantha (juste le son et parfois l’image grâce à la caméra intégrée au téléphone de Théo). Il nous est ainsi permis d’assister à l’évolution des deux personnages simultanément. Car, si le personnage principal reste Théodore, Samantha est, elle aussi, une protagoniste à part entière et n’est en rien passive dans cette histoire d’amour. Dotée d’une personnalité évolutive, elle s’adapte et développe sa propre individualité.

Théodore quitte peu à peu son quotidien morne et froid et se fait propulser dans le brouhaha coloré d’un amour naissant.

Samantha, quant à elle, devient un peu plus humaine chaque jour et tente tant bien que mal de comprendre les sentiments qui la traversent et la bouleversent.

Au fur et à mesure, l’image change, elle aussi. Elle devient plus éclatante, les couleurs se font plus intenses, la caméra est moins stable, plus libre.

Leur idylle a pour arrière plan un Los Angeles du futur. Dans cet avenir proche où tout le monde a des allures de hipsters, les assistants personnalisés (du même genre que notre SIRI actuel) ont bien évolués. A mots couverts, Spike Jonze s’interroge sur l’accélération des innovations technologiques et leur impact sur nos vies. Sera-t-il possible un jour pour de telles amours d’exister ? Dans Her, la relation entre Samantha et Théodore n’est pas un cas isolé et notre héros se retrouve rapidement confronté aux regards de ses proches qui, parfois, n’hésitent pas à désapprouver ce nouveau phénomène de société.

Certaines réactions nous rappellent celles de la famille de Lars, héros du très beau et très touchant Lars and the Real Girl de Craig Gillespie, dans lequel Lars (interprété par Ryan Gosling) entame une relation sentimentale avec une poupée pour adulte. Lars et Théodore, ces deux handicapés du sentiment, tout aussi maladroits l’un que l’autre tentent de comprendre ce que veux dire « tomber amoureux » de nos jours. La question paraît simpliste mais reste néanmoins présente dans les deux films. Puisqu’un mariage ne dure pas forcément pour la vie, rien n’est acquis et tout peu basculer rapidement. Lars a pu l’observer avec la relation de ses parents, Théodore, lui, le vit après sa séparation. Ainsi, ils trouvent tous deux refuge dans des histoires d’amour impossible, peut-être par peur d’être encore une fois blessés par leurs semblables et de devoir tout recommencer à zéro.

Cette relation à l’humain, ou plutôt cette absence de relation est particulièrement développée dans Her. La ville de Théodore par exemple n’est qu’un territoire neutre et bruyant qu’il traverse sans entrer en contact avec autre chose que son téléphone. Et il n’est pas le seul. Pourtant, Théodore communique avec les autres, mais indirectement et pas en son nom. Son métier consiste à écrire des lettres très personnelles (souvent des lettres d’amour) pour des clients qui n’ont plus le temps de le faire eux-mêmes. Ainsi, malgré son talent d’écrivain et sa capacité à s’approprier les sentiments de ses clients, il reste paradoxalement incapable d’exprimer ses propres émotions autrement qu’à travers un écran. Cette description poétique du mal du siècle est touchante mais aussi dérangeante. Malgré ses aspects futuristes et ses décors minimalistes (vous avez remarqué que personne n’est jamais bordélique dans le futur ?), l’environnement dans lequel évolue Théo nous est familier. Accro à ton smartphone, tu te reconnaîtras peut-être dans les visages de certains figurants scotché à leurs écrans. Her est ainsi l’ébauche d’une réflexion sur notre condition humaine et notre rapport à l’autre dans un monde qui évolue peut-être trop vite pour nous et où tout est fait pour nous permettre de ne plus avoir à communiquer directement avec l’autre.

Le dernier Spike Jonze est calme, posé -notamment grâce à la BO aérienne d’Arcade Fire- et singulièrement novateur. L’oscar du meilleur scénario original est, sans aucun doute, mérité pour ce film qui allie futurisme - tout en s’éloignant cependant des clichés du genre (fan de SF dystopique, désolée mais les OS ne réduisent pas les humains en esclavages à la fin du film) - et drame romantique, tout en évitant l’écueil du sentimentalisme dégoulinant (pouah !). On l’attendait avec impatience et pas de déception donc pour ce film, aussi beau qu’intelligent, à la fois drôle et touchant.

NB : Je vois des sourcils se lever et certains s’interrogent sans doute sur l’exclusivité de cette critique. J’ai la chance d’habiter en Angleterre, ce beau pays où Her est sorti depuis le 14 février. Ce film a donc été visionné en toute légalité (et j’ai payé mon ticket, promis, juré).

Créée

le 27 sept. 2014

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