Loto is the new opium du Peuple

Je me souviens d'une BD que je lisais étant petit et qui s'appelait Kador (un genre de spin off de la saga Les Bidochons de Binet). Il y avait dedans un épisode consacré au ticket de Loto, qu'il ne fallait surtout pas toucher avec les mains souillées par la vaisselle car il était Sacré ; c'était le Sacerdoce contemporain, devant qui, hommes et femmes, vieux et jeunes, riches et pauvres, nous étions "tous égaux". La prière au Dieu Loto se terminait d'ailleurs par de ces mots lourds de signification : « O, Loto, qui dans le coeur de vos fils daignez nous ouvrir avec tant de bonté votre trésor infini, accordez-nous de nous offrir en même temps que le pieux hommage de notre ferveur, le tribut d'une digne rémunération, au nom du vrai loto qui vit et règne en l'unité du saint esprit dans les siècles des siècles. Amen »

Au delà de la blague, cette mise en parallèle du Loto (et quand je dis Loto, j'embrasse tous les jeux d'argents offrant la possibilité potentielle de devenir millionnaire) et du catéchisme Religieux est à mon sens bien plus profonde qu'il n'y parait ; le Loto est en effet devenu la soupape de sécurité de la coquotte-minute du Capitalisme débridé. Si autrefois on pouvait s'assurer de la résignation de la plèbe par la promesse du Paradis éternel ("Heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous"), de nos jours, et la modernité étant ce qu'elle est, il est bien plus efficace de lui substituer le fantasme d'une hypothétique victoire au Loto.

"Taxer les richesses? Mais voyons vous n'y pensez pas! Pour l'instant je suis pauvre comme Job certes, mais supposez que demain je gagne au Loto... je voudrais bien pouvoir jouir de ma piscine de billets tranquille, mayrde alors!"

Et le tour est joué. Tous les Jean-Prolo vont comme un seul homme défendre bec et ongles des intérêts de classe qui ne sont pas forcément les leurs. On créait donc de manière factice une forme de solidarité de Classe entre "ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien" (pour citer Débilus 1er, notre Suprême Leader).

Et tout ça basé sur un fantasme abstrait d'une victoire au Loto quand même vachement hypothétique. Les chances de gagner le gros lot étant plus faible que d'être frappé par la foudre (oui, par la foudre, pas par une météorite comme le dit le synopsis du film... nan, parce que, sans vouloir pinailler, les cas avérés de personnes frappées par une météorite dans l'histoire humaine se comptent littéralement sur les doigts d'une main, mais bref).

Et il ne faut surtout pas sous-estimer ce fantasme ; il est puissant. Très puissant. Moi par exemple, il m'est arrivé de fantasmer dessus, alors que je ne joue même pas au Loto ; c'est dire si c'est fort!

Je suis persuadé que si on interdisait du jour au lendemain tous ces jeux d'argent, on tiendrait pas un an sans qu'une Révolution armée n'éclate...

Bref, le Loto, c'est un vrai phénomène de société mine de rien...

Et le film dans tout ça? Et bien il est super sympa.

Je remercie l'ami Jb_tolsa qui m'a incité à aller le voir ; je ne regrette pas ; j'ai passé un bien bon moment.

C'est drôle. C'est frais. C'est digeste.

Le format en sketch, rappelant bien sûr Les Nouveaux Sauvages, ou bien, en plus Français, Les Infidèles, pourra en rebuter certain(e)s mais perso, je trouve que ça a ses avantages : ça donne une bonne dynamique, ça évite les grosses longueurs, ça diversifie bien la palette des personnages et des situations. Pour ce genre de sujet, ça match plutôt bien.

Les acteurs et actrices sont souvent très bons :

Eboué, on pourra toujours lever un sourcil de perplexité devant certains de ses spectacles, mais en tant qu'acteur, je l'ai toujours trouvé absolument excellent. Bon, toujours un peu dans le même rôle hein ; le père de famille un brin loseur qui tente de cacher sa grande fragilité derrière une assurance de façade très factice. Mais il le fait si bien!!

Sa femme (Lamy) était elle aussi bluffante de réalisme.

Autre performance remarquable : Anouk Grinberg (qui m'a beaucoup fait penser à Victoria Abril ici) qui était parfaite.

Et puis il y avait ma petite chouchou : Louise Coldefy, qui m'avait totalement subjugué dans son rôle de Clémentine de la Série Family Business, qui a ici un rôle que j'ai trouvé malheureusement en dessous de ses capacités (elle interprète bizarrement la moins folle du groupe, ce qui est quelque part un peu une faute de gout), mais qui reste délicieuse malgré tout avec ses petites mimiques maniérées.

Pour le reste du casting, c'est très en dessous de ces 4 là, mais ça passe.

Il y a donc 5 segments :

1er : le meilleur! Celui de la famille qui a gagné le gros lot mais qui doit s'enregistré avant 19h sinon elle perd tout. J'étais plié du début à la fin. Du très lourd.

2ème : une nana un peu niaise gagne le gros lot (goulou goulou) et qui tombe sur un prince charmant peut être un peu trop charmant (ou pas?). Sans doute le moins réussi en ce qui me concerne. Certes, le passage où elle se tape l'affiche en étant bourrée comme une queue de pelle au restaurant était vachement fendard, mais globalement, ce segment manquait de crédibilité. J'aurais trouvé ça bien plus logique si la coloc' avait été dans la combine en fait... Et puis la le problème de la fameuse robe rouge. C'est quoi le putaing de problème avec sa robe rouge? Nan mais sérieux quoi... Elle est pas si moche que ça sa robe je trouve. Du coup ce gag tombe chez moi complètement à plat... Mais je dois surement avoir des gouts de chiotte en matière vestimentaire...

3ème : le groupe des terroristes Islamiques débilos qui gagnent au loto et qui voit toutes leur certitudes métaphysiques menacées. Ça fait le lien avec ce que je disais plus haut sur la question de la concurrence entre l'aliénation religieuse et l'aliénation de la cupidité marchande (comme disait le père Voltaire : "Quand il s'agit d'argent, tout le monde est de la même religion"). C'est d'ailleurs assez osé et plutôt bien vu de prendre un angle léger et moqueur sur un thème très bouillant et "touchy", montrant que derrière toute la terreur que ce genre de types peut inspirer, ils restent au final d'une médiocrité et d'une bêtise pathétique. Avec des passages hilarant, notamment le néo-converti (d'ailleurs, qui lui aussi joue très bien en fait), qui a le zèle des néo-convertis, mais qui n'arrive pas à aligner correctement 2 mots d'Arabe et qui est traité de "Musulman en carton" par ses comparses.

4ème : les employés d'une maison de retraite qui volent le ticket d'un mort et font un pacte pour jouir de cette fortune "mal acquise". Très sympa, même si j'ai trouvé la conclusion hors champ un peu facile et pas vraiment satisfaisante.

5ème : retour à notre famille du début. Pas mal, mais beaucoup moins drôle que le reste, avec un ton un peu trop sombre à mon gout.

Bref, on bon p'tit film, qui cherche pas à pêter plus haut que son cul et qui remplis bien son cahier des charges.