Hidden
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Hidden

Film de Jack Sholder (1987)

Le parasite et la cité : anatomie d’un corps américain

The Hidden, réalisé par Jack Sholder en 1987, appartient à cette catégorie de cinéma que l’on croit pouvoir ranger dans les marges du genre, avant de découvrir qu’il en est l’un des plus lucides révélateurs. Sous ses dehors de série B science-fictionnelle, le film opère une dissection chirurgicale du corps social américain, dans ce qu’il a de plus organique, de plus pulsionnel, de plus contaminé.


I. Le récit comme virus : contamination narrative

Le synopsis est simple, presque schématique : un extraterrestre parasite passe de corps en corps, semant chaos et destruction dans Los Angeles. Il aime les voitures de sport, les armes automatiques, la musique forte, l’argent et le pouvoir. Il est, en somme, l’Américain moyen, mais poussé à son paroxysme. Face à lui, deux policiers : l’un humain, l’autre venu d’ailleurs, traquent la créature.

Mais ce récit, loin d’être un simple prétexte à poursuites et fusillades, fonctionne comme une métaphore virale. Le parasite ne se contente pas de tuer : il transforme. Il révèle ce que les corps contiennent déjà. Chaque possession est une mise à nu. Le banquier devient braqueur, la strip-teaseuse devient tueuse, le vieillard devient assassin. Le mal n’est pas importé, il est latent. Le parasite ne fait que l’activer.

Ce mécanisme narratif, fondé sur la répétition et la variation, épouse la logique du virus : il se propage, mute, s’adapte. Le film lui-même semble contaminé par son sujet. Il change de rythme, de ton, de genre. Il commence comme un polar, devient thriller, flirte avec l’horreur, puis bascule dans la science-fiction. Cette instabilité formelle est la signature du parasite : il ne respecte aucune frontière, aucun code, aucune identité.


II. Le corps comme champ de bataille

Dans The Hidden, le corps est le lieu central de l’action. C’est lui qui est envahi, transformé, utilisé. Mais c’est aussi lui qui résiste, qui souffre, qui meurt. Le film ne montre pas des esprits qui s’affrontent, mais des chairs qui explosent. Il y a quelque chose de profondément organique dans la mise en scène : les transferts de parasites sont visqueux, les blessures sont sanglantes, les corps sont encombrants, jamais sublimés.

Cette matérialité du corps est essentielle. Elle renvoie à une vision du monde où l’identité n’est pas une essence, mais une surface. Le parasite ne s’intéresse pas à l’âme, mais à l’apparence. Il prend le corps, le maquille, le déguise, le fait parler. Il est le metteur en scène d’une comédie sociale grotesque. Et chaque personnage possédé devient une caricature de lui-même : plus violent, plus sexuel, plus consumériste.

Le corps devient alors le champ de bataille du politique. Ce n’est pas l’État qui est envahi, c’est l’individu. Et cette invasion révèle les failles du système : la police est impuissante, la justice est aveugle, les citoyens sont complices. Le parasite ne vient pas de l’espace, il vient du rêve américain. Il est la logique terminale du capitalisme : désir pur, sans limite, sans morale.


III. La ville comme théâtre du chaos

Los Angeles, dans The Hidden, n’est pas une ville. C’est un décor. Un espace de circulation, de consommation, de destruction. Les rues sont larges, les buildings sont froids, les intérieurs sont impersonnels. La ville n’a pas d’histoire, pas de mémoire, pas de communauté. Elle est le lieu idéal pour le parasite : tout y est déjà fragmenté, déconnecté, prêt à être envahi.

La mise en scène épouse cette logique. Le film est rythmé par les poursuites en voiture, les fusillades dans les centres commerciaux, les explosions dans les clubs. Chaque lieu est un non-lieu. Et chaque scène est une variation sur le même thème : le chaos. Il n’y a pas de progression dramatique, mais une intensification. Le parasite ne cherche pas à accomplir un plan, mais à jouir du désordre.

Cette vision de la ville comme théâtre du chaos renvoie à une critique plus large : celle de l’urbanisme américain, fondé sur la séparation, la vitesse, la consommation. The Hidden ne montre pas une ville vivante, mais une ville morte, animée par des forces mécaniques. Le parasite est à l’image de cette ville : il circule, il consomme, il détruit. Il est le produit parfait de son environnement.


IV. L’Autre comme miroir : figures de l’altérité

Face au parasite, deux figures se détachent : le policier humain, Michael Nouri, et l’agent extraterrestre, Kyle MacLachlan. Leur duo rejoue les codes du buddy movie. L’un est pragmatique, l’autre est spectral. L’un est dans le présent, l’autre dans une temporalité autre.

MacLachlan, avec son visage lisse, ses gestes mesurés, son regard absent, incarne une forme d’altérité radicale. Il n’est pas simplement un extraterrestre, il est une figure christique, une conscience pure, une mémoire du mal. Il ne parle pas beaucoup, mais il observe. Il ne juge pas, mais il agit. Il est l’anti-parasite : il ne possède pas, il restitue.

Cette opposition entre le parasite et l’agent est au cœur du film. Elle ne repose pas sur une lutte entre le bien et le mal, mais sur une confrontation entre deux logiques : celle du désir et celle de la responsabilité. Le parasite veut jouir, l’agent veut réparer. Et cette réparation passe par un geste ultime : le don. À la fin du film, l’agent donne sa vie, son corps, son identité. Il devient humain, non par naissance, mais par sacrifice.


V. Esthétique du fragment : le style comme symptôme

Sur le plan formel, The Hidden ne cherche pas la beauté. Il cherche l’efficacité. Le montage est rapide, les plans sont courts, la caméra est mobile. Il y a une nervosité constante, une urgence. Le film ne s’installe jamais, il court. Il épouse le rythme du parasite, qui ne s’arrête jamais, qui ne réfléchit jamais, qui ne doute jamais.

Mais cette esthétique du fragment est aussi une esthétique du symptôme. Elle dit quelque chose du cinéma américain des années 80 : sa fascination pour la vitesse, pour la violence, pour le spectaculaire. The Hidden ne critique pas cette esthétique, il l’utilise. Il la pousse à son extrême, jusqu’à l’épuisement. Et dans cet épuisement, quelque chose surgit : une lucidité.

Le film ne propose pas une vision du monde, mais une expérience du monde. Une expérience brutale mais nécessaire. Car dans ce chaos, dans cette fragmentation, dans cette contamination, se dessine une vérité : celle d’un monde où le mal n’est plus une force extérieure, mais une logique interne.


Conclusion : The Hidden, ou le cinéma comme acte de résistance

The Hidden sous ses dehors de série B, est une œuvre de résistance. Résistance à la logique du spectacle, à la morale simpliste, à l’idéologie dominante. Il ne propose pas de solution, mais une question. Une question qui hante tout le cinéma : que faire du mal quand il est en nous ?

En cela, The Hidden est un film essentiel. Il nous oblige à regarder ce que nous ne voulons pas voir : notre propre contamination. Et dans ce regard, peut-être, commence la possibilité d’un autre cinéma. Un cinéma qui ne cache rien.

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le 17 sept. 2025

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