L’éditeur EuroZoom est quand même sacrément couillu de sortir un film comme Hinterland au cinéma, puis en DVD, chez nous. Déjà, parce qu’une coproduction Autriche / Luxembourg mise en scène par un réalisateur allemand, ce n’est pas ce qu’il y a de plus vendeur pour le grand public. Et puis parce que le film qui nous est proposé, et en particulier son esthétique très particulière, pourra en dérouter plus d’un. Mais c’est toujours plaisant pour les curieux du cinéma de s’aventurer dans des contrées pas ou peu connues. Mis en scène par Stefan Ruzowitzky (Anatomie 1 et 2), lauréat en 2008 d’un Oscar du meilleur film en langue étrangère pour son film Les Faussaires, Hinterland, à ne pas confondre avec la série anglo-galloise de 2013 du même nom, est une jolie petite curiosité en partie de par son visuel très particulier. Le film est défini sur son affiche française comme un « thriller expressionniste », cette formule est clairement adéquate et Hinterland risque aussi bien de déstabiliser le spectateur que de le fasciner.


Tourné quasi exclusivement en fond vert (ou bleu), avec des décors en CGI rajoutés en post-prod, Hinterland propose une expérience visuelle assez unique en s’inspirant de l’expressionnisme allemand des années 20. Dans les décors, les bâtiments sont tordus, déformés, la colorimétrie est parfois étrange, les éclairages et les ombres ne sont pas forcément là où ils devraient être. Rien n’est droit, les perspectives ne respectent aucune norme et l’exercice demande clairement quelques minutes d’adaptation en fonction de la difficulté de votre cerveau à accepter le procédé. Il en résulte une ambiance des plus étranges, parfois gothique, parfois baroque, souvent oppressante. Lorsque ce ne sont pas les bâtiments qui sont tordus, c’est le cadrage, avec un réalisateur qui s’amuse à casser ses plans, rendant les perspectives encore plus improbables. Est-ce pour faire ressentir au spectateur la sensation étrange qu’ont les soldats du film de retour de la première guerre mondiale, honteux d’avoir perdu, déstabilisés que ça soit fini et d’être encore en vie, avec une vie déformée à tout jamais par les horreurs qu’ils ont vues / vécues ? Car ici, les soldats revenant de captivité ne sont pas célébrés comme des héros, mais plutôt traités comme des mendiants jetés dans le caniveau. La métaphore est comprise au bout de quelques scènes, mais l’atmosphère étrange et assez inconfortable créée par ces images numériques qui font perdre tout repère est bien plus importante. Il faut avouer que certains plans sont de toute beauté et pourraient être sans souci des tableaux de maitre. Mais à l’inverse, on a également souvent l’impression d’être devant un jeu en FMV (Full Motion Video) des années 90 façon Phantasmagoria ou Gabriel Knight 2 lorsque les acteurs ne sont pas très bien incrustés dans les décors et que l’ensemble sonne un peu faux. Clairement, le résultat n’est pas toujours convaincant avec des acteurs qui semblent parfois un peu flotter dans le décor. Mais qu’importe, l’expérience est assez unique pour que ce défaut ne vienne pas réellement entacher l’expérience Hinterland.


Au milieu de tout ça, des meurtres, avec des cadavres mis en scène comme des œuvres d’art morbides, un étrange individu masqué, et une enquête. Mélange de drame historique, de polar et de film d’horreur, l’intrigue est des plus sympathiques à suivre, bien qu’assez conventionnelle au final, et n’ennuie jamais. Les cadavres et la façon dont ils sont mis en scène sont très graphiques et le réalisateur se permet même quelques excès de gore, avec des corps bien abimés (jambes entièrement rongées par des rats, doigts et orteils découpés, corps percés dans tous les sens, …). On sent l’envie de mettre en scène une intrigue façon Seven de David Fincher, même si le résultat est malgré tout en deçà car au final un peu prévisible. Les scènes « à côté » sont elles aussi intéressantes comme ce moment où un médecin légiste répare les visages abimés par la guerre d’anciens soldats. Hinterland dépeint assez bien les horreurs de l’après-guerre. Les horreurs physiques, avec ces nombreux blessés / mutilés de guerre, mais aussi les horreurs psychologiques, avec ces gens mentalement détruits, perdus, hantés, rejetant la faute sur tout le monde. Le casting impliqué aide à la réussite du film. Murathan Muslu livre une prestation convaincante en rapatrié de guerre désabusé et, bien qu’il paraisse antipathique et renfrogné, son personnage devient vite attachant. Alors oui, comme dit plus haut, il faut un certain temps pour rentrer dans le film, aussi bien à cause de son visuel déstabilisant, de la froideur de l’ambiance, et des thèmes abordés. Cela ne fonctionne clairement pas dans toutes les scènes. Mais ce thriller sombre finit par nous embarquer avec lui, aussi imparfait qu’il est, car l’expérience qu’il propose a un côté hypnotisant. Alors si le spectacle ne vous fait pas peur sur le papier, vous n’avez pas de raison de ne pas tenter le dépaysement.


Malgré quelques faux pas aussi bien dans la forme que dans le fond, Hinterland est un thriller historique des plus ambitieux, proposant une enquête intéressante, un visuel hors normes, et ne reculant pas devant les images d’horreur.


Critique originale avec images et anecdotes : https://www.darksidereviews.com/film-hinterland-de-stefan-ruzowitzky-2021/

cherycok
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le 24 avr. 2023

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