Dissertation rédigée dans le cadre d'un devoir de méthodologie du travail universitaire, en novembre 2019


Comme nous le savons tous, la guerre et ses effets sont une question qui, encore aujourd’hui, forment l'une des préoccupations morales les plus importantes. Au cinéma et en littérature également, cette thématique anime depuis de nombreuses décennies des paraboles artistiques sur les mœurs des personnes touchées par les dégâts de la guerre (ou hostilité conflictuelle), souvent associés à la liberté de tomber amoureux au moment propice pour fuir la réalité.


Pour son premier long-métrage, Alain Resnais, figure emblématique en puissance de la Nouvelle Vague, puise dans l'expérience acquise dans des courts métrages documentaires tels que Guernica (1950), Les statues meurent aussi (1953), Toute la mémoire du monde (1956) et plus particulièrement Nuit et brouillard (1956).
Le projet Hiroshima mon amour résulte de la collaboration entre Resnais et la femme de lettres et scénariste Marguerite Duras, principale représentante du Nouveau Roman français. Au même titre que la Nouvelle Vague, cette école littéraire réunissait une poignée d'auteurs souvent décriés par l'opinion populaire, faisant table rase de tout principe artistique auquel l'artiste s'assujetti, avec pour fin de promouvoir une nouvelle définition de l'art (les éditions de Minuit, tel le cinéma d'arts et essais, en étaient les principales promotrices) depuis 1957.


Directement écrit pour l'écran par Marguerite Duras en 1959, Hiroshima va amorcer nombre des prochaines oeuvres, littéraires et cinématographiques confondues, de la romancière, dont les thèmes vont se montrer épidémiques: l'Asie (L'Amant, 1984), la réminiscence (Le Ravissement de Lol V. Stein, 1964), la relation illégitime (L'Amant, La Douleur- 1985). Egalement, nous retrouverons une écriture singulière mettant en avant un cadre spatio-temporel relatif (Le Vice-consul, 1966) qui, en l'occurrence, sous-jacent une préoccupation pour le travail de la mémoire et l'influence du passé sur le présent.
Pour marquer le coup, Resnais a recours à une gestion du temps particulière: effectivement, en adaptant le scénario théâtralement structuré de la plume de l'écrivaine, il transpose spécifiquement pour le film divers procédés littéraires, comme nul ne l'a déjà vu auparavant.


Comment le réalisateur transpose-t-il la gestion du temps du scénario de Duras ? Nous nous intéresserons dans un premier temps à la construction déviante du film, avant de nous interroger sur la question de l'adaptation du livre à l'écran.


Ainsi, la production franco-japonaise sortie en 1959 embarque le lecteur / spectateur en plein coeur de Hiroshima, quelques temps après avoir été bombardée par l'armée américaine le 6 août 1945. Au cours de cet attentat, les parents d'un architecte japonais (Eiji Okada) ont été victimes. Celui-ci entretien alors une relation impromptue avec une actrice française (Emmanuelle Riva) venue tourner dans la ville japonaise, dévastée. À défaut d'avoir une liaison sentimentale légitime dans leur pays respectif, les deux jeunes gens vont petit à petit accroître une passion aussi explicite en sa confusion que dans son rapport au temps.
C'est alors dans les allées-venues que se loge la spiritualité du film: les amants en fusion, dès le plan d'ouverture, où les corps en sueur se couvrent d’une cendre brillante qui annonce la première partie du titre. S'ensuit alors le récit de Hiroshima conté par Riva, au fil des images d'une ville suppliciée, d'une architecture du désastre, d'un peuple mutilé, dépeintes depuis une chambre dans laquelle on tarde à découvrir le visage des amants. Précédant son retour pour la France, la Française verra cette relation exorciser les souvenirs doux et douloureux de divers épisodes de sa vie, venant rythmer le cours de sa brève et intense liaison avec son amant japonais.


Resnais se sert d'une construction en flash-back qui révèlent de plus en plus le passé, à mesure qu'il fait intrusion dans le présent. Cette construction est soutenue par la musique envoûtante de Giovanni Fusco et Georges Delerue et le jeu des acteurs, en particulier celui d'Emmanuelle Riva, dont l'élocution, récitée, et le visage reflétant les sentiments complexes de son personnage jusqu'à la plus infime nuance, lui donnent une facette considérablement émouvante.


Prévu au départ comme un documentaire sur le désastre de la bombe sur Hiroshima, Resnais a finalement décidé de transformer la production en long-métrage de fiction dans le but de prolonger son regard sur l'Histoire, retrouvé dans le moyen-métrage Nuit et Brouillard (1956). Par le biais de la littérature et le scénario de Marguerite Duras, il narre la destinée individuelle amoureuse en juxtaposant scènes lyriques et horreurs de la guerre.


Duras a déclaré qu'avant le tournage du film, Resnais a voulu tout connaître de l'univers abordé, de l'histoire qu'il allait raconter, et celle qu'il ne raconterait pas: celle des personnages principaux. Il les a abordés par l'image comme s'il relayait un film déjà existant de la vie antérieure des personnages, sans s'interroger sur ce qui plairait au spectateur. Par le biais de cette mise en scène des plus singulières, alternants divers mouvements de caméra classiques et procédés atypiques faisant référence de façon perspicace aux procédés littéraires rebutant tant de lecteurs à l'égard de Duras.


Le premier quart d'heure se concentre sur le point de vue de l'héroïne, racontant à son bien-aimé son expérience à Hiroshima. Par de simples ellipses, le spectateur se retrouve alors en plein dans la mémoire du personnage incarné par Riva, pour mettre en valeur son point de vue des choses. Là où le scénario littéraire laisse libre court à l'imagination du lecteur pour reconstruire les images d'Hiroshima, le film de Resnais affranchit les bornes entre le cinquième et le septième art en montrant le point de vue de la narratrice.


Le procédé va perdurer au fil des séquences dialoguées (aussi insistantes et rigoureuses qu'elles soient) entre l'homme et la femme, notamment au cours de la deuxième partie...


au cours de laquelle l'intrigue s'amplifie, au moment où le couple voit leur amour borné par le départ de la femme le lendemain. C'est aussi le moment du déploiement de l'identité secondaire des amants, avec le récit de l'amant à Nevers et sur Hiroshima quasi-juxtaposés mais non pour autant présentés comme identiques.


Ainsi que la troisième partie, dont le début confirme l'idée de mise en abyme du film.


Effectivement, nous ne saurons finalement rien du film tourné par Riva, même pas le titre.


L'unique séquence montrée présentant le tournage, ellipsée, est l'idée de ne montrer qu'un aspect parmi cent aspects d'une même chose. En l'occurrence, en plus de laisser libre court au lecteur et spectateur du contenu de la production réalisée, le film dans le film symboliserait le récit des deux amants, au cour du récit historique de fond.


Tel le tournage du film, la relation illégitime des amants est expédiée par le déroulement des choses.


Ainsi, nous assistons à un véritable mélange entre fiction et réalité. Le documentaire fait écho à ses images d'archives, narrées du point de vue de la femme française. Le récit filmique est quant à lui, soutenu par une succession de dialogues et une gestion du temps souvent déconcertante, alternance entre les deux genres en employant des procédés transitoires tels que l'ellipse, et la privant de fondu pour accentuer la puissance des non-dits.


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