Le véritable suspense aura été de nous faire croire au chef-d'oeuvre bien rôdé. Car c'est affriolant, tout de même, cette annonce de biopic. Avec Hopkins, Mirren, Johanson et les dessous de Psychose, le projet s'autorise - au minimum - le bénéfice de la curiosité. Une belle mise en bouche. Le film, pourtant, s'échine à démonter tous nos rêves. Il nous excite rapidement par son intro - une tasse de thé et un soupçon de classe - et s'étire ensuite dans la fadeur des sens.

Car Hitchcock, en fin de compte, c'est quoi ? C'est la crise conjugale du couple Alfred/Alma Reville et la mise en chantier du film Psychose, sous la réticence des studios. Ce parallélisme perdurera jusqu'au générique, sans jamais prendre parti. Là est la principale faiblesse. En n'assumant vraiment aucune des deux storylines, le film parcourt une double surface, certes très léchée, mais passablement frustrante. De la pré à la post-production, le suivi de Psychose n'aborde que des anecdotes de tournages - le plaisir de (re)voir des scènes cultes se voit réduit à deux passages très courts : la fuite en voiture et le fameux meurtre sous douche. Mais là encore, ils sont désservis par le traitement du personnage de Hitch', fragilisé par ses tensions maritales. Il ne reste, en ces moments, du réalisateur qu'un homme marié sortant de ses gonds - un comportement brisant l'aura mystérieuse que l'on avait de l'auteur. Il hausse le ton, serre les dents, troque son flegme britannique conte un excès plus américain. Peut-être les choses se sont-elles réellement déroulées de la sorte, à l'époque. Mais le trait parait forcé et cousu d'un fil scénaristiquement facile. Plutôt que de suggérer, Sacha Gervasi, le réalisateur, affiche noir sur blanc la dualité eros/thanatos des créatures hitchcockiennes ; dualité ici renvoyées à Alfred lui-même. La piste aurait pu être intéressante, mais se noie dans les étapes trop marquées de l'effeuillement du mariage. (Dont on sait, de toute façon, qu'il trouvera fin heureuse.) De Psychose, donc, subsiste un simple motif et non un moteur. Quand on sait que le titre premier aurait dû être The Making of Psycho, on peut se permettre un froncement de sourcils. Pourtant, le jeu d'obstacles ne manquait pas : censure envahissante (Saviez-vous que montrer des toilettes à l'écran était un tabou d'alors ?), refus de la violence, peur de s'autoclicher dans un second Vertigo... Ces sujets sont abordés mais se perdent aussitôt. Parfois par le ton léger de l'humour (qui n'est pas négligeable, attention) ou par l'impression, un peu plus ennuyeuse, que l'on n'en savait pas plus, alors voilà. Vous l'aurez compris : Hitchcock n'est pas le métafilm du siècle.

C'est également une histoire de tendresse. Malgré des années de loyale collaboration, Alfred se montre ingrat envers son épouse. La tentation de l'échappée adultère offre une certaine guérison, puis tombe à plat. Voir Alma fréquenter un vieil ami écrivain propose une intrigue secondaire peu intéressante, tout juste bonne à éveiller la jalousie de Hitch'. Cette sous-romance s'achève brutalement quand devenue inutile, laissant une fois encore un arrière-goût d'outillage et non de vraie portée scénaristique. A bien y réfléchir, montage et mise en scène y sont pour beaucoup. Très irréguliers, ils "cassent" les ambiances déjà fragiles. L'image, bien que belle et recherchée, n'offre aucune profondeur de champ. En fait, elle fonctionne par événements symboliques, un peu comme un livre d'image. Imaginez un dessin d'Alfred allongé dans son lit, l'air passablement contrarié et, en légende, "Hitchock dort mal. Sa femme n'est toujours pas rentrée." Davantage un roman-photo qu'une véritable monographie (dont le film est pourtant tiré).

Bon, après, le film n'est pas catastrophique non plus. Je m'efforce d'argumenter ce qui m'a chiffoné. Mais il est tout de même plaisant à regarder. Les performances d'acteurs sont à la pointe, même si Hopkins reste toujours un peu Anthony. Voix manquant de gravité et je le soupçonne d'avoir un poil cabotiné. Il joue remarquablement bien mais ne sublime rien. Petite mention pour Scarlett, bien ancrée dans les mimiques de l'époque, très appréciable, d'autant que jouer un rôle dans un rôle (en voilà de la mise en abyme) n'est pas des plus simple.

Plusieurs scènes m'ont arraché un franc sourire. La réaction du public lors de la projection, priceless. Le clin d'oeil final à The Birds. A peu près chaque réplique d'Helen Mirren. Non, Hitchock n'est pas un mauvais film. Mais c'est une oeuvre trop timorée, probablement intimidée par ce monument qu'est Alfred et se refusant à égratiner un erzatz de sa filmographie - encore moins Psychose - car sacralisée par avance. Un réalisateur plus chevronné aurait pu prendre le risque. Sasha Gervasi est trop jeune, trop frais pour ce défi. Paradoxalement, c'est cette fraicheur qui sauve le film et l'empêche de tomber dans la vulgarisation.

A tous les coups, on aura un reboot dans dix ans.
Un_Homme_Moderne
5

Créée

le 7 janv. 2013

Critique lue 674 fois

6 j'aime

Critique lue 674 fois

6

D'autres avis sur Hitchcock

Hitchcock
Sharpshooter
4

Quand la petite histoire parasite la Grande...

Auteur du documentaire remarqué "Anvil" (que je n'ai personnellement pas vu, ce qui me donnait un regard totalement vierge sur son réalisateur), Sacha Gervasi prend les rênes d'un film qui, de par...

le 13 déc. 2012

27 j'aime

7

Hitchcock
Rano84
4

Les aventures de Papy et Mamie

Aujourd'hui Mamie est contrariée, Papy devrait faire attention à sa ligne, limiter l'alcool et surtout arrêter de regarder les jolies filles blondes sur les photos. Alors Mamie décide de fréquenter...

le 28 mars 2013

24 j'aime

3

Hitchcock
YellowStone
6

Un manque de conviction ?

Contrairement à beaucoup de monde ici, je ne suis ni un fan inconditionnel, ni un grand connaisseur de Hitchcock. Rassurez-vous, bande de cinéphiles mal embouchés, je m'applique à corriger cette...

le 14 févr. 2013

20 j'aime

2

Du même critique

La Fanfare
Un_Homme_Moderne
10

Critique de La Fanfare par Un_Homme_Moderne

Le saviez-vous ? Ce cartoon est l'un des premiers dessins animés en technicolor. Il s'agit de la première réunion Mickey/Dingo/Donald. Il crame, en 420 secondes, les plus beaux Pixar. Saviez-vous...

le 4 déc. 2012

15 j'aime

American Nightmare
Un_Homme_Moderne
2

Cerseï et son Desert Eagle.

Le principe du Home Invasion relève bien souvent de la visite guidée - un effort désaccordé voulu par les agences immobilières, allez savoir, mais permettant - à coup sûr - de découvrir la cuisine,...

le 28 juin 2013

12 j'aime

2

Populaire
Un_Homme_Moderne
7

Quand les hommes étaient des hommes et les femmes portaient des jupes

Le paradoxe serait, pour populaire, de faire un flop au box-office. Consciente de ce danger, la production s’est lancée dans l’une des plus grandes campagnes d’affiches de ce trimestre. On nous y a...

le 29 nov. 2012

11 j'aime