Hitcher
7.2
Hitcher

Film de Robert Harmon (1986)

L'invasion des profanateurs de véhicules

Hitcher est ce que je connais de plus proche du Duel de Spielberg : un affrontement infernal entre un automobiliste et un psychopathe obsessionnel sur les routes désertes du Texas, ici un auto-stoppeur, qui transforme le principe du long trajet épuisant en épreuve mortelle. On reconnaît la mécanique efficace de l'interaction avec un inconnu dans une zone sans garde-fou qui tourne à l'angoisse, et tout le fait fonctionner à plein régime : le décor désertique est magnifiquement filmé, le jeune C. Thomas Howell est parfait en victime terrorisée qui va devoir se relever, et Rutger Hauer est évidemment impérial. Je ne sais plus pourquoi mais je croyais avant de voir le film que son rôle était tenu par Clint Eastwood, et ça n'aurait peut-être pas dénoté tant il incarne ce personnage venu de nulle part qui va imprégner son environnement de son charisme imperturbable avant de méthodiquement tout foutre en l'air. Son introduction sous une averse orageuse qui le réduit à l'état de silhouette est un grand classique mais le rendu est fantastique, au sens propre et au sens figuré comme le suggérera la suite du film.

On est dans le divertissement de série B au sens le plus noble qui soit : carré, humble, qui nous délivre tout ce qu'on est venu chercher sans se perdre dans des détours secondaires et qui fait beaucoup avec peu. La tension est vraiment là, ça m'a rappelé un comics Batman de Paul Dini où Robin est ligoté à l'avant d'une voiture conduite par le Joker qui le met face à son impuissance. Les péripéties sont nombreuses pour renouveler le récit, peut-être un poil trop : on pourra avoir le sentiment de tourner en rond dans ce jeu du chat et de la souris, mais ce n'est ni gratuit à mon sens, ni lassant pour le spectateur. Et j'apprécie beaucoup la manière qu'a le film de réussir son coup à la fois dans les événements hors-champ, dont les seules conséquences suffisent à stimuler l'imagination, et dans ce qui est montré et qui est réellement spectaculaire. Ce n'est pas un film où tout est suggéré par manque de budget et où il faut attendre la fin pour que ça en jette, ce n'est pas non plus un film qui veut en mettre tout le temps plein la vue, il y a une alternance qui sait très bien jouer sur les deux tableaux quand c'est judicieux.

Tout ça c'est très bien et fait du film un excellent divertissement, dans la veine de Duel donc mais en complémentaire, troquant une menace sans visage uniquement caractérisée par ses actions pour à la place un antagoniste sans passé ni existence tangible, mais doté d'une personnalité réellement présente. Mais j'ai aussi apprécié le petit fil rouge thématique lié au personnage principal. Il doit apprendre à faire face aux dangers plutôt que de les fuir et on devine que l'auto-stoppeur le harcèle précisément pour lui enseigner cette leçon à la dure, c'est la partie émergée de l'iceberg et c'est un grand classique des survival. Mais on a aussi la métaphore filée du personnage qui doit rester éveillé : dès le début du film il manque d'avoir un accident parce que le sommeil lui a fait fermer les yeux au volant, et il embarque Rutger Hauer parce qu'il espère que ça le réveillera. D'aucuns ont souligné l'ironie de la chose en disant qu'il ne pourra plus dormir, mais ce n'est pas vrai : il y a de nombreux moments où il ferme les yeux, perd son regard au loin ou même s'endort, et dans ces moments où il relâche son attention il va systématiquement se manger un contre-coup immédiat dont l'improbabilité du timing tient limite du surnaturel, au point qu'on peut se demander si l'on ne se retrouve pas dans un cauchemar hanté par Freddy. Le personnage de Rutger Hauer est tellement abusé qu'il n'est plus un simple auto-stoppeur psychopathe, il n'est même plus un humain avec des désirs personnels et des facultés terrestres : c'est un être surnaturel qui n'existe que pour mettre à l'épreuve des conducteurs en se dévouant entièrement à leur affrontement. Une fois qu'on accepte cette idée, on peut accepter le film sans se plaindre que l'antagoniste soit abusé, comme un conte à l'ambiance éthérée. Un conte où le personnage doit garder les yeux grand ouvert, avec l'aide d'une lampe dirigée en plein dans la pupille s'il le faut. Et peut-être qu'en vérité il est un somnambule qui commet les méfaits de Rutger Hauer le croque-mitaine chaque fois qu'il a l'impression de ne s'être reposé qu'une seconde ? Cette interprétation personnelle n'est manifestement pas canon, mais j'aime bien la voir coexister avec ce méchant d'outre-monde, sachant le parallèle et l'inversion de position qu'exerce fréquemment le film entre ces 2 personnages, l'un et l'autre pouvant devenir tour-à-tour conducteur ou passager.

Hitcher est un "petit" thriller qui sublime sa base et démontre un savoir-faire suffisamment affirmé pour nous faire tolérer ce qui passerait ailleurs pour des facilités scénaristiques. Je regrette un personnage féminin dont l'utilisation est clichée et peu étudiée ainsi que des ressorts qui peuvent se répéter, mais le convoyage valait clairement le détour.

thetchaff
8
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le 18 avr. 2024

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thetchaff

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