Peu de films ont généré autant de polémiques que ce Hostel sorti en 2005, un "horror teen movie" qui a cumulé tant de bruits et d'indignations qu'on a l'impression qu'il est sorti en 2019.


Les scènes de torture explicites ont dérangé quelques associations qui voyaient une oeuvre malvenue alors que le calvaire vécu par Ilan Halimi bouleversait la France. Le film a par ailleurs été taxé de misogynie et de racisme. Même l'affiche d'Hostel 2 a été interdite parce qu'elle montrait un bout de viande en gros plan. L'affiche de remplacement montrant une jeune femme la tête à l'envers et en pleurs est en revanche passée comme une lettre à la poste...


Faut croire qu'Eli Roth a un peu trop bien réussi son coup. Le jeune réalisateur a expliqué en interview qu'il avait toujours voulu réaliser le film que ses parents lui aurait interdit de voir quand il était môme. Roth a réalisé son rêve avec ce "film de grand-frère" - pour reprendre ses termes - qui a impressionné Tarantino au point de se proposer producteur exécutif. Un projet si intriguant que Takeshi Miike, le réalisateur d'Audition, a accepté de venir y tenir un petit rôle. Le prestigieux parrainage de ces grandes figures du cinéma ne pourrait certifier de la qualité du projet. Alors qu'en est-il ?


Hostel rime avec scalpel.


L'histoire n'est pas plus conne que celle d'un groupe d'ados passant un weekend dans une cabane près d'un lac et se faisant poursuivre par un psychopathe en manque d'affection dans la petite enfance (comme son cabin fever, premier film hommage au genre archi codifié du slasher dont la seule originalité est de substituer le désaxé sanguinaire par une menace bactériologique).


Dans Hostel, un duo d'américains fait la bringue durant un tour d'Europe alcoolisé en compagnie d'un grand islandais déluré. Ils se retrouvent à voyager en Slovaquie sur les conseils d'un type louche, qui leur explique que les filles des pays de l'est sont des avions de chasse et qu'elles ne refusent pas grand chose aux touristes américains.


Et rien que ce postulat mérite un peu plus de respect chez les gens qui ne voient qu'un exercice de torture gratuit dénué de fond. Est-ce qu'il y a plus de fond ailleurs ? Y a-t-il du fond dans Sinister ? Y a-t-il du fond dans Insidious ? dans V/H/S ? dans Rec ? dans Martyrs ou Hérédité ? Pas vraiment. Le but d'un film d'horreur, c'est de faire peur ou de déranger, comme le but premier de la comédie est de faire rire... ou de déranger. Billy Wilder ou Woody Allen écrivaient des comédies avec du fond, mais doit-on pour autant condamner les comédies où il n'y en a aucun ? Les films des frères Zucker, la Cité de la peur des Nuls ou la Tour Montparnasse infernale, des comédies efficaces sans fond, qui ont le droit de vivre, mieux elles méritent aussi le respect. C'est pareil avec le gore.


Un film d'horreur doit jouer avec des images, des sons et des concepts qui sont des transgressions chez la plupart d'entre nous (religieuses, sexuelles, philosophiques, physiques...). Quand cela dit quelque chose c'est mieux, évidemment (et cela donne bonne conscience à un certain public d'apprécier des trucs sanglants qui confinent au crétin), mais le problème c'est qu'Hostel dit aussi quelque chose.


Car beaucoup de spectateurs ont été aveuglé par la vulgarité des premiers scènes, le racolage pesant qui accompagne les apparitions de la sublime Barbara Nedeljáková, puis par les images de tortures insoutenables et sont passés à côté de certains propos.


Je parle évidemment d'un sale complexe de supériorité vis à vis de ces pays et du stéréotype qui entoure les femmes qui peuplent ces contrées. Beaucoup de spring breakers américains et d'Européens fêtards cultivent ce fantasme de la pute des pays de l'est dont il serait facile d'abuser. Et ce comportement n'avait jamais été pointé à ma connaissance dans un film. Il est surprenant que cela soit dans un film d'horreur US pour teenagers qu'on aborde ce bas instinct qui nous fait douter de la solidité d'un projet commun européen. Nul doute que Robert Schuman aurait tiqué devant Hostel.


Nos noceurs qui atterrissement dans cette charmante auberge de jeunesse slovaque vont se mordre les doigts d'avoir ainsi entretenu de tels clichés machistes, ce n'est pas spoiler que de dire qu'ils vont les régler dans une marre de sang.


Les pays de l'est c'est mortel !


L'autre cliché avec lequel s'amuse Roth est la supposée société arriérée slovaque, avec son lot d'enfants psychopathes qui sillonnent les rues en sniffant de la colle (il a volontairement confondu avec les pires banlieues de Bucarest), la police corrompue et indifférente aux affaires de disparition.


On lui a reproché cette vision des choses, mais il ne fait que jouer avec une représentation populaire. Demandez autour de vous, quelle image est renvoyée par les roumains, polonais, albanais et slovaques, vous ne serez pas déçus. On a tous en tête des mélanges allant de Mr Preskovitch à des serbes patibulaires en cuir avec l'étoile de Nord tatouée dans le cou, et des blondes atomiques avec des poignards entre les seins. Une usine à fantasmes dangereux. La Slovaquie s'est d'ailleurs justement indignée de l'image du pays véhiculée dans ce film, et Roth s'en est expliqué : "Quand j’ai dit à des amis que j’allais tourner à Prague, ils m’ont répondu : "Oh, la Tchécoslovaquie ! Emporte du papier hygiénique ! » Ils pensent que c'est un pays communiste comme dans les années 1950. Je savais que les Américains ne feraient pas la différence entre la République tchèque, la Slovaquie et la Tchécoslovaquie. Je joue avec les stéréotypes qu’ils ont dans la tête".


Roth a observé les croyances et limites d'une partie de son public, il s'en est amusé et a bien compris comment lui faire peur. Quant au mépris, est-ce qu'on aurait reproché à Tobe Hooper la façon dont il a dépeint les habitants reculés du Texas dans Massacre à la tronçonneuse qui ne sont jamais qu'une bande de consanguins cannibales ? Du coup, le pays n'est absolument pas conforme à la réalité, et alors ? Est-ce que les films de Dario Argento ou de Lynch (avec lequel il a travaillé plusieurs fois) le sont ?


Double fracture et double lecture


L'autre idée forte du film est un fantasme qui ne concerne pas les pauvres slovaques, mais les super riches. L'argent leur offrant droit de vie ou de mort et même celui de triturer des gens attachés à des chaises avec des outils tranchants et peu entretenus ou des chalumeaux (clin d’œil au Marcelus Wallace de Pulp Fiction ?), tout cela afin d'expérimenter de nouvelles sensations inavouables.


Cette idée de chasse à l'humain est vieille comme le monde et de nombreux films ont exploité l'idée qu'avec beaucoup d'argent on pouvait s'acheter une impunité totale et prendre des vies "misérables" - et même celles d'américains, mais il faut payer plus cher dans ce cas. Encore un élément pour faire flipper son public et lui faire comprendre qu'il est un gibier de choix en dehors de ses bases. Les tortionnaires font la même chose que nos petits américains, ils utilisent leur argent pour se faire plaisir en exploitant le corps des autres.


On est évidemment à un tout autre degré d'immondice et d'argent. Mais bizarrement ce fantasme malsain sur les élites mondialisées assoiffées de torture et de mort a soulevé moins de polémiques.


Notez bien, que je pourrais faire le couillon et en rajouter une couche sur le fond. J'enfile une paire de lunettes, un col roulé et je bourre une pipe pour expliquer que ce film est une parabole de la Shoah, du fait des origines du réalisateur, que l'usine désaffectée - située dans les pays de l'est - est une entreprise de destruction systématique et inhumaine qui est une référence évidente aux camps de la mort.


Et je suis tellement balaise que si je veux je superpose une vision marxiste à l'oeuvre, car ces hommes d'affaires milliardaires qui viennent en limousines pour tuer des classes populaires inférieures, ne peuvent qu'illustrer une évidente dénonciation du capitalisme sauvage et inhumain.


Scary snuff movie


Mais Eli Roth n'avait pas cela en tête, il s'est juste inspiré d'un fait divers qui s'est déroulé en Thaïlande pour jouer avec les peurs d'américains en goguette dans un pays d'Europe inconnu. Cela a marché sur moi, bien plus qu'une quantité de films d'horreur vaguement satanistes où "le fond" se limite à coller un crucifix dans un coin pour générer une lecture subversive anti religieux ou politique.


Les suites sont sans intérêt, je l'admets, mais ce film vu au ciné de la Défense après une annulation de cours à la fac m'a laissé un vif souvenir. Une salle peu remplie, avec deux adolescentes qui gloussaient devant les premières scènes avant d'être prostrées, et qui ont finalement quitté la salle à grandes enjambées. C'est là que j'ai réalisé qu'on était en face d'un vrai grand film d'horreur.


Les scènes gores fonctionnent vraiment bien. Car c'est vraiment vraiment dégueulasse. Bien plus dérangeant que les torrents d'hémoglobines du remake d'Evil dead ou les effets numériques de Silent Hill qui rendent la violence irréelle et lointaine.


Le pire c'est que la Slovaquie est certainement un endroit magnifique, peuplé de gens charmants et bourrés de qualités. Beaucoup de jeunes américains ne se risqueront pas à le découvrir à cause (ou grâce) à ce film.


Merci à Eli Roth d'avoir préservé un joli pays du tourisme américain de masse.

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le 4 août 2019

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