Dès les premières images, Hugo Cabret m'a inspiré de grandes craintes (pas tout à fait mal fondées) : purée numérique sur fond vert, cliché de la Tour Eiffel, accordéon, Sacha Baron Cohen faisant un concours de cabotinage avec son chien, travelling artificiel constitué de personnages incrustés sur fond de décors trop beaux pour être vrais qui n'existent pas, un gavroche à tête de Tobey McGuire ; ne manquaient que le béret et la baguette, les croissants intervenant plus tard.

En plus on voit Jude Law.

Autant le dire de suite, l'intérêt du dernier Scorsese se situe dans l'hommage à Mélies. Et autant le dire de suite, l'hommage se révèle bien plus nourri et sincère que celui de Spielberg envers Tintin.

Ceci dit rien d'extraordinaire dans le reste du récit ; on y retrouve un misérable Rémi sans famille à la recherche de la clé d'un secret de polichinel, un vieux rêveur désenchanté qui n'attend qu'une chose c'est qu'on le réveille (je sais c'est paradoxal mais ça a du sens, en fait), un « méchant » au fond pas si pourri qui n'attend qu'une greluche assez folle pour lui offrir la rédemption nécessaire afin d'apparaître dans la scène de happy end, le tout dans un Paris du début du XX° siècle numérique. Bref de la guimauve, du rêve à l'américaine, une France de carte postale glamour et totalement surréaliste (pour ne pas dire irréaliste) un peu à la manière de ce qu'avait fait Pixar sur le très insupportable Ratatouille.

Donc ça, c'est pour l'emballage.

Car au bout de 55 minutes pendant lesquels on ne s'ennuie pas vraiment pour autant, le cœur du film se dévoile. Après un lent effeuillage, le rythme s'installe vraiment, comme le fruit d'une longue distillation, et l'essence même du propos s'offre à nous : le temps.
On ne s'en aperçoit pas immédiatement car Scorsese plante son décor plus subtilement qu'on pourrait le voir de prime abord, mais petit à petit, de façon quasi subliminale, un sentiment d'intemporalité et de voyage dans le passé s'installe par delà l'aspect visuel , par delà la reconstitution visuelle, par delà le maladroit cameo de Django Reinhardt, par delà la musique atrocement clichesque et les accessoires plus faux que nature : l'aura mélancolique d'un monde appartenant au passé.

La nostalgie les enfants, la nostalgie...

Le Mélies de Scorsese ou une jeunesse glorieuse qui rêvait éveillée, audacieuse et talentueuse, créative et inventive, portée par l'élan d'enthousiasme propre à l'amour de l'art et de ceux avec qui on l'exerce et qui partagent cette passion. Le Mélies de Scorsese ou le temps qui passe et le monde qui change alors qu'on ressent cette quasi indescriptible nostalgie de ceux dont l'âme est ancrée dans leur époque. Le Mélies de Scorsese ou les personnages magiques, quasi fantomatiques, les sons lointains et les gestes plein de la grâce d'antan, et ces images magnifiques, celles des vrais film de Mélies derrière lesquelles s'efface Scorsese.

La note ne vaut que pour cet hommage ; j'ai eu la chance de découvrir très jeune Le voyage dans la lune qui m'a énormément marqué, ému et dont je garde un souvenir indélébile. Ce fait, certainement loin d'avoir fait de moi un meilleur cinéphile ou critique, a néanmoins indiscutablement fait de moi un meilleur rêveur que je n'aurais été autrement. Un petit quelque chose de ceci se retrouve dans le film, et c'est déjà beaucoup pour notre époque.
real_folk_blues
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le 30 mars 2012

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