Deux ans seulement après l’énorme succès du magnifique « Le bon, la brute et le truand » qui offrit les plus belles lettres de noblesses au western spaghetti qu’il avait initié, l’immense Sergio Leone clôt de la plus grande des maestria son épopée à travers le genre avec « Il était une fois dans l’Ouest », œuvre somme et définitive à l’influence inimaginable et qui figure au panthéon du cinéma mondial.

Symbolisée par l’arrivée de la civilisation à travers le chemin de fer dans la légendaire Monument Valley qui sert de décor à la ville fictive de Flagstone, la fin du mythe de la conquête de l’ouest se dessine, d’une part, autour de la lutte acharnée pour l’acquisition de la propriété de Sweetwater, représentant les enjeux stratégiques d’une future société et, d’autre part, dans le désir de vengeance de l’énigmatique homme à l’harmonica, illustration d’une des thématiques les plus régulièrement exploitée dans l’ouest sauvage du 7ème art. En effet, au-delà de cette dualité des enjeux, il s’agit là de deux mondes qui s’affrontent menant les protagonistes vers un inexorable départ, point d’orgue d’un final déjà annoncé depuis la légendaire scène d’introduction du métrage au tempo dicté par les éléments de décor et le bruit strident d’une locomotive arrivant en gare.

Centralisant les enjeux narratifs du récit, la fabuleuse Claudia Cardinale hérite du rôle féminin le plus singulier jamais vu dans un western italien. De son ancienne vie de prostituée à sa condition de veuve, elle n’a eu de cesse de s’adapter, lui permettant ainsi de réussir à s’extirper de la dureté du monde hostile et sauvage des hommes pour dépasser sa condition là où les archétypes masculins de Leone se voient incapables de s’accommoder à l’industrialisation galopante représentée par le chemin de fer. Jason Robards endosse le rôle romanesque d’un émouvant cowboy en quête de rédemption tandis que le personnage quasiment mutique aux accords d’harmonica lancinants de Charles Bronson est rongé par une insatiable soif de vengeance. Enfin, la mine patibulaire d’un Henry Fonda à contre-emploi interprète l’un des plus beaux rôles de salaud que le cinéma n’ait jamais offert. Parmi les trois rôles masculins principaux, il apparait comme le seul cherchant à s’adapter sans réussite au monde en devenir, rattrapé inexorablement par sa condition et son passé. À l’exception de Claudia Cardinale, tous, représentent un temps désormais révolu ou l’aridité des terres va être supplantée par la fertilité que confère la source d’eau de Sweetwater.

Alors au sommet de son art, Leone s’érige en génie et façonne sa mise en scène au service de sa marche funèbre avec une maitrise parfaite. Tantôt formelle voire académique, tantôt novatrice et à la limite de l’expérimentation, elle transcende le genre dans un jusqu’au-boutisme absolu. Des plus beaux et longs plans contemplatifs étirés à la limite de la rupture jusqu’à l’immensité des grandioses panoramas qui jalonnent son film, le réalisateur romain nous offre parmi les plus magnifiques cadres de l’histoire du cinéma. D’une générosité sans limite et poussant son langage cinématographique encore plus loin que dans « Le bon, la brute et le truand »,il en utilise les codes pour iconiser ses personnages comme jamais il ne l’avait fait auparavant.

Au scénario, Sergio Leone retrouve un certain Sergio Donati avec qui il avait déjà travaillé pour son premier chef d’œuvre « Et pour quelques dollars de plus… » et qui sortait tout juste des scénarii des très bons « Colorado » et « Le dernier face à face » de Sergio Sollima, autre grande figure du western spaghetti avec Sergio Corbucci. Mais surtout, il permet à un tout jeune Dario Argento, deux ans avant sa première réalisation « L’oiseau au plumage de cristal », ainsi qu’à Bernardo Bertolucci, pas encore le cinéaste accompli de « Le dernier tango à Paris », « Novecento » ou encore « Le dernier Empereur », de réaliser leur premier gros fait d’arme.

Dans cette ultime fable noire, et comme un dernier souffle, les dialogues corrosifs se font rares mais précieux et parsemés d’interminables silences, feignant le sentiment d’une suspension temporelle laissant planer le glas fatidique de la mort tout le long du métrage jusqu’aux pétarades ostentatoires des pistolets à travers un final à la dramaturgie aussi grandiose qu’émouvante.

Monumentale fresque crépusculaire empreinte d’une mélancolie sublimée de manière extraordinaire par la bouleversante composition de son légendaire acolyte Ennio Morricone, dont la volonté de transcender le médium cinématographique à travers sa musique trouve ici une de ses plus belles représentations tant elle est inoubliable et touche à l’absolue perfection, « Il était une fois dans l’Ouest » est indéniablement l’une des plus grandes œuvre capitale du septième art.

DBH
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le 7 juin 2022

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