"Il était une fois en Anatolie" est un film teinté d'une absurdité dilatée, paré de scènes grotesques, comme l'oubli d'un sac pour transporter le cadavre, la déclinaison des vertus des outils modernes pour le dépecer. Mais loin d'être simplement cyniques, ces scènes témoignent de l'emprise du temps et de l'espace sur les personnages, et les parades adoptées pour y faire face et conjurer l'engloutissement. Cela renvoie à la posture des personnages d'un Beckett face à l'attente. Ici, on tourne beaucoup en rond ("tournent, tournent, mes personnages", pour reprendre une chanson de "La ronde", de Max Ophuls), et chacun est confronté à cette menace d'un basculement lié à une perte d'attache - là où le film commence, les choses sont déjà jouées. Ces postures assymétriques, qui sont comme des politesses face au désespoir, permettent aux souvenirs d'affleurer, comme avec ces moments particuliers autour de la mort d'une femme. Le film prend alors une orientation complètement différente, entre attente et émoi sensible, avant de rebasculer vers une réalité sordide.

"Il était une fois en Anatolie" est ainsi un grand film sur l'oubli : oubli de médicaments pour un enfant malade (inconcevable pour un père que l'on sent aimant) ; oubli de maintenir éveillé le meurtrier qu'on a pourtant â côté de soi. Et par là, c'est un grand film sur le deuil, qui justifie la recherche invraisemblable du mort.

JumGeo
7
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le 28 nov. 2011

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