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Souvent oublié dans la filmographie impeccable de Sergio Leone, Il était une fois la Révolution (nom de travail du projet) est pourtant à l’aune du corpus du cinéaste: une œuvre marquante, singulière et profondément réfléchie. Son occultation dans la mémoire collective vient sans doute d’une sortie mouvementée, puisqu’il existe autant de versions du film que de pays qui l’ont sorti en salle. Giù la testa dans son titre italien (Baisse la tête) devient l’hommage suscité en France, tandis qu’il est temporairement traduit en Duck you sucker! aux Etats-Unis (Baisse-toi Pigeon) avant d’être renommé comme la version britannique: A Fistful of Dynamite, en référence à la trilogie du dollar. Mais outre le titre, on parle d’une version amputée de vingt minutes Outre-Atlantique, avec des plans raccourcis car le public américain est apparemment trop limité pour profiter de la dilatation temporelle propre à Leone ou pour voir des exécutions de masse, des séquences tronquées d’éléments jugés trop subversifs pour l’époque (l’encart d’intro, la révélation de l’ultime flashback…).


Et pour cause, Leone, en bon sale gosse du septième art, n’y va pas avec le dos de la cuillère pour faire passer son opinion d’anarchiste. Le film est produit dans la foulée des manifestations de mai 68, et alors qu’une vague d’attentats à la bombe secoue l’Italie (les années de plomb). Tout ce contexte vient s'immiscer dans le propos, et ce dès l’ouverture. Une citation de Mao:

La révolution n'est ni un dîner de gala, ni une œuvre littéraire, ni un dessin, ni une broderie. On ne la fait pas avec élégance et courtoisie. La révolution est un acte de violence.

Alors que le nom du Président du Parti communiste chinois disparaît, voilà qu’une fourmilière se fait pisser à la gueule. Le ton est donné. L’auteur du jet, c’est Juan Miranda (Rod Steiger, méconnaissable), bandit latino qui se contrefout de la révolution mexicaine, la voyant comme une opportunité de profiter du chaos pour se remplir les poches. A la suite d’un braquage de diligence de gens de la haute, il rencontre un terroriste irlandais en exil, John Mallory (James Coburn, truculent), expert en explosifs qui pourrait s’avérer être un outil fort rentable à Juan.


Nos deux antihéros sont en position, et vont développer une relation d’amour-haine jubilatoire au cours de leur histoire, ancrée dans l’Histoire. Car si on est dans un western à l’ère des premières automobiles, on est avant tout dans un film qui démonte les notions de révolution, de patriotisme (Bakounine jeté dans la fange) et d’héroïsme pour mieux creuser les manquements des humains qu’il dépeint. La révolution est un processus violent, illusoire, et dont les changements supposément apportés ne font que placer une classe sociale au pouvoir au détriment d’une autre, sans jamais avantager les plus démunis (il faut briser la roue nous a dit une reine déchue). Les peones ne sont bons qu’à crever au combat ou se faire marcher sur la gueule, tandis que les figures du peuple ne sont que des individus égoïstes propulsés sous les projecteurs par les aléas du tumulte. Juan devient un héros qui ne cherchait que le magot, tandis que John, déjà las des révolutions au début du film, cherche seulement à se racheter de ses crimes passés, montrés en de longs flashbacks muets en Irlande parsemés au cours de l'œuvre, dans une ambiance radicalement différente de celle du Mexique.

A ce sujet, il est difficile de comprendre que la révélation du triolisme de John ait été amputée de la version américaine tant elle dévoile bien plus que des préférences sexuelles. Lorsque interrogé sur son nom, John répond Sean avant de se corriger, c’est parce qu'il est hanté par son amant, Sean (version irlandaise de John/Juan). Sean, cette ritournelle constante de Ennio Morricone, toujours présente à l’esprit de Mallory. Et si l’on pense tout le film que Sean à trahi John en bavant auprès des forces britanniques, c’est en réalité le contraire qui s’est passé. En atteste cet ultime flashback donc, où lorsque Sean embrasse la femme, troisième membre du trouple, Leone nous donne un long plan sur le visage de John, dans un sourire crispé. Et l’indice qui ne laisse aucun doute est musical. La mélodie que l’on entend à ce moment-là n'est entendue qu’une autre fois dans le film, lors de la mort de Sean. John a trahi Sean par jalousie, et il est désormais dans une boucle de culpabilité qu’il tente de fuir par la révolution. Ce qui explique également son attitude par rapport au Dr Villega, le pardonnant d’avoir lui aussi parlé aux soldats mexicains.


Et si le propos et les personnages n’étaient pas déjà assez solides, IEUFLR se pare de tout ce qui fait le sel du cinéma du maître es spaghettis. Des dialogues incisifs, Juan étant dans la droite lignée du Tuco d’Eli Wallach (un temps pressenti au casting) et agrémentés de nombreuses punchlines bien senties. Les fameux plans dilatant l’espace et le temps, montant en permanence la tension. La musique d’Ennio Morricone, entêtante et expérimentale à souhait. Une violence âpre, sans concessions. Et des moments de bravoure explosifs où l’humour vient souvent pointer le bout de son nez.


Encore un chef d'œuvre de la part de Sergio Leone, qui vient s’inscrire dans la droite lignée des cinq autres films de sa carrière internationale. Un pamphlet anarchiste qui marie avec justesse action, humour et message politique, et vient donner un coup de pied dans cette fourmilière pisseuse.


Créée

le 30 avr. 2024

Critique lue 6 fois

Frakkazak

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