Marina Fois prend à bras le corps son personnage après avoir été séduite par le récit autobiographique de Béatrice Huret. Jérémie Elkaim dont c'est le premier film s'attèle à un sujet qui intéresserait dans ce qu'il démontrerait de l'humain, de ses interactions et d'une France, pays des droits de l'homme dont on s'attend si ce n'est à un documentaire nourri, tout au moins une fiction sachant liée le collectif à l'intime par cette histoire d'amour improbable entre un bel étranger, bien mystérieux et une femme d'extrême droite qui se découvrira une âme de bénévole dès lors qu'elle croisera son regard. On pourra penser à ces beaux sentiments aptes à déplacer des montagnes par le seul miracle de l'amour entre deux cultures, deux modes de vies, de ces éléments contraires prêts à regarder l'autre et qui donnent du baume au cœur.


Malheureusement, ce sujet d'importance qu'est la crise migratoire, qui laissait présager d'un instantané, peut-être répétitif mais toujours essentiel s'arrête là où commence pourtant la drôle prise de conscience de Béatrice.
Si l'on retrouve la particularité de Fois, à jouer de son visage renfrogné aux regards torves, elle montre un caractère ne laissant aucune porte ouverte, étonnant quant à la suite des événements, en ne laissant guère de place à l'empathie. Mais cette intrigue, prenant place dans le milieu ouvrier nous rappelle à une réalité sociale des plus monotone et dépressive à quelques pas de la jungle de Calais où des bénévoles tentent de réguler le flux grandissant de migrants en trouvant parfois quelques solutions des plus aléatoires quand elles ne sont pas intéressées. Et ce sera une mention spéciale à Laetitia Dosch qui arrive en quelques scènes à nous montrer si bien le décalage de classe sociale pour ce personnage insupportable, au faux don de soi, où la solidarité ne sera qu'une vue de l'esprit.


Ni brûlot politique ni vraiment une belle histoire d'amour, mais plutôt une tentative de destins croisés, ne laissant peu de place aux personnages, notamment l'acteur Afghan Seear Kohi homme complexe, qui nous interroge entre possible manipulation à mettre en œuvre ses projets ou véritable coup de foudre pour Béatrice, pour mettre en valeur une seule actrice. Occultant même les relations familiales d'un fils et d'une mère peu enclins à la bienveillance mais qui suivront comme un chemin de croix, celui que trace Béatrice à réparer le manque d'ouverture de toute sa famille. Les personnages peinent alors à briller, leur psychologie, leur histoire et leur évolution est niée ou expédiée.
Le ton emprunté à la manière des Dardenne, pour un cinéma réaliste et une caméra à l'épaule qui force à l'immersion, de situations sans esthétique et de lumière crue pour ces échanges du quotidien nous tente au départ. On pourra être perplexe ensuite sur le portrait de cette femme, tout autant curieux par ses décisions, qu'il s'agit d'une histoire vraie, aux scènes parfois totalement improbables.
Un moment dans la vie d'une femme que l'on jugera ou non tirée par les cheveux. Tout va très vite. Béatrice devient le pilier en quelques jours de toute une organisation limite hors la loi, alors même que la confiance que l'on pourrait lui accorder fait largement défaut. L'irresponsabilité et la dangerosité des actions mises en œuvre à faire passer ces hommes en Angleterre avec le départ en Espagne, le retour, l'échec d'un camion de transport, pour finalement opter pour la pire des solutions à traverser la manche avec un tout petit canot et les foutre à l'eau en pleine nuit pour attendre le miracle du sauvetage. Le procédé est délicat tant ce cinéma ne joue que de sa mise en scène sans pousser bien loin le curseur. Le cinéaste semble alors ne pas savoir quoi nous montrer de tout notre monde et peine à mettre en valeur le récit en l'adaptant pour sa fiction.
On reste surpris d'un changement aussi radical à comprendre la détresse des migrants, et questionne sur la personnalité réelle de cette femme qui sortant de chez elle semble voir enfin ce qui se passe dehors. Délestée d'un conjoint violent et au quotidien sans joie, Béatrice est seule et navigue à vue, prête à tout prendre pour un sursaut de vie, comme un joli pied de nez à son ex mari et à ses collègues racistes, dans une ambiance familiale réactionnaire, qu'elle s'échinera, désormais dans une certaine provocation, à laisser derrière elle.


Mais de ces personnes isolées et maltraitées le cinéaste, malheureusement, les laissera dans un anonymat dérangeant et ne nous donnera que peu de réflexion pour cogiter et s'imprégner de cette réalité cachée, ni même Mokhtar, hormis qu'il sera le déclencheur au réveil de Béatrice. Déclencheur semble-il lié à la frustration sexuelle d'une épouse passive. Découverte du corps et de ses plaisirs, comme seule légitimité à la lutte, les dialogues ne se résument qu'à une discussion traduite et répétitive aux toutes légères envolées émotionnelles. Ce ne sera qu'une suite d'ébats amoureux et de regards langoureux, sans que l'on ne ressente de véritable passion.
Reste deux heureux gagnants, pour 4000 réfugiés qui attendront encore. Mais on est rassuré que les choses finissent bien. C'est déjà ça de pris. Et si les cœurs d'artichauts peuvent être a minima, comblés, les enjeux de la crise migratoire, eux, ne marqueront pas les esprits.

limma
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le 2 mai 2022

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