Anaïs Barbeau-Lavalette, qui nous a proposé cinq ans plus tôt, Le ring, un film sur les enfants du quartier d'Hochelaga-Maisonneuve, nous revient cette fois avec Inch'Allah, un long métrage filmé à l'autre bout du monde, sorti en 2013.


On suit pendant une heure et demie Chloé, jeune obstétricienne québécoise postée dans un camp de réfugiés en Cisjordanie afin d'aider des femmes enceintes. Cette dernière est partagée entre deux mondes; d'un côté, celui des Palestiniens qu'elle côtoie au cours de la journée, de Rand, une future maman avec qui elle se liera d'amitié et de l'autre, celui de juives d’Israël, d'Ava, sa voisine d'immeuble.


À première vue, et après avoir vu la bande-annonce, on aurait tendance à se dire: Bon! un autre film sur le conflit israêlo-palestinien. Détrompez-vous! Certes, une série d'images du quotidien des personnes concernées (attentats, mur de séparation, douanes, contrôles de l'armée) nous sont exposées tout au long du film mais chaque aspect, ou événement raconté l'est par le biais du témoignage de Chloé et des autres personnages qui l'entourent.


Ah! Chloé... Belle Chloé... Sérieusement, j'ai «tripé» sur cette fille dès que j'ai vu l'affiche du film (magnifique!).


Bref! Cette jeune québécoise, pleine de bonne volonté au début se verra très vite confrontée à la dure réalité palestinienne. Déchirée entre Ramallah et Jérusalem, elle se fait progressivement happer par le conflit, devient elle-même un champ de bataille et perd ses repères. Finalement, on se rend compte que tout tourne autour d'elle, qu'elle est le centre du récit, mais aussi une passerelle entre nous et un mode de vie, des mœurs et un pays (ou du moins ce qui en reste) que nous ne connaissons pas; le jour, nous la voyons travailler dans un camp de réfugiés, aider, créer des liens forts avec ceux qu'elle rencontre et la nuit, nous rentrons avec elle en Israël, sentons le décalage qu'il y a entre les deux patries.


Ce qui est intéressant, c'est le fait que l'histoire ne prenne pas position, ne se veuille pas complètement engagé. On assiste à un film qui porte sur le conflit pourtant la réalisatrice ne nous montre pas d'images de guère, de pauvreté extrême, ne nous dit pas : voici les méchants et eux sont les gentils. Au lieu de ça, nous observons les effets de ce que l'on devient lorsqu'on est confronté à une réalité qui nous dépasse, comment nos barrières de protection peuvent tomber face à une guerre. Le point tournant dans l'histoire est sans doute lorsqu'elle assiste à la mort du petit Youssef, écrasé par un camion de militaires. Dès lors, tout ses principes, ambitions et autres convictions s'effondrent pour laisser place à un sentiment d'incertitude, d'incompréhension, de révolte et de haine qui, au fur et à mesure, l’entraîneront au fond du gouffre.


Le conflit n'est pas forcement essentiel à la trame narrative. En fait, il ne sert qu'à nourrir le drame que vivra Chloé et lui donner encore plus de crédibilité et de poids. Ce drame, on le vit et ressent à travers elle. D'un point de vue technique, ceci est dû à la quantité de gros plans présents de le film. Nous sommes constamment avec Chloé, collés à elle, de face ou tout proche, de sorte à voir ses réactions; son regard a quelque chose de profond, qui vous transperce, vient vous chercher et vous transporter dans le récit; citons la scène de la marche en l'honneur du défunt Youssef; ouais! On la voit à peine dix secondes, mais à mes yeux, ce court laps de temps pendant lequel on la voit marcher à moitié présente, à moitié perdue, en compagnie de plusieurs manifestants sert à refléter la transition que vivra Chloé, le passage (ou la décadence) d'un état d'esprit optimiste, qui croit en la bonté du monde,vers un autre beaucoup plus critique, sévère et sombre.


En parlant d'entrer dans le récit, il faut avouer qu'on a presque l'impression d'y être. Alors!? Fiction ou réalité? Ha ha! Certains hésiteraient peut être à se prononcer mais il s'agit bel et bien d'une fiction. L'histoire se passe entre Ramallah, Jérusalem et Tel Aviv mais, hormis quelques scènes, la majeure partie du film a été tournée en Jordanie, dans deux camps de réfugiés palestiniens.
Les décors ont l'air réel (et le sont pour certains); le mur de séparation, les contrôles douaniers et le dépotoir ont été recréés de façon intelligente de sorte à ce qu'on ne doute pas de l'authenticité des images qui nous sont proposées. Un grand merci à André-Line Beauparlant qui nous signe de beaux décors.


«Tout à l'air vrai, autant les gens que les lieux, mais tout est mis en scène [...].[et] se fond dans le décor parce qu'on tourne vrai, à l'épaule, façon documentaire» nous dit la réalisatrice, et on est bien d'accord car, après avoir visionné le film je ne sais combien de fois, on remarque qu'effectivement, et dans l'intérêt de l'oeuvre, tout est tourné en caméra à l'épaule,style documentariste, proche du sujet (comme je le disais plus haut) et ceci donne un sentiment de proximité par rapport aux personnages et ajoute une pincée bordélique et sauvage aux séquences; par exemple : les scènes des «check points» sont, à mon sens. très bien réalisées, et ce, en partie, grâce au fait que cela soit tournée en caméra à l'épaule. Cette particularité donne l'impression d'être présent dans ce chaos, pris dans le conflit, entre deux mondes séparés par un mur.


Je n'aurais pu achever ce texte sans évoquer ma scène préférée, la scène qui, selon moi, englobe tout ce qui a été dit plus haut, tant par rapport aux éléments esthétiques (gros plans,caméra à l'épaule, etc.), qu'aux caractéristiques thématiques.
Bref! petite mise en contexte: Chloé est à Tel Aviv lorsqu'elle reçoit l'appel de Rand qui lui dit qu'Elle est sur le point d'accoucher. À son arrivée, c'est le bordel (et on le voit) : encombrement, pleins de gens dehors, sons des klaxons, cris devant les douanes,etc. La caméra à l'épaule pour sa part ajoute son petit grain et illustre bien le chaos, le vacarme et le dynamisme. Après avoir vu Rand, Chloé se rend au poste de douanes afin d'expliquer aux douaniers la situation; elle a l'air exténuée. Étrangement, pendant qu'elle parle, nous avons cette drôle d'impression que le bruit autour d'elle s'accentue. Voyant qu'il (le soldat) semble se foutre de ce qu'elle dit, cette dernière s'énerve, réagis, se révolte et bouscule le soldat qui la braque de son arme aussi vite. Rien qu'à l'écrire j'en ai des frissons; je ne sais trop comment, peut être son regard, la façon dont elle se tient, dont elle parle, tout un ensemble de choses qui donne de la force à cette séquence.


En gros Inch'allah est le témoignage de trois gemmes sur la dureté de ce conflit tant physiquement que psychologiquement. Chacune est issue d'un milieu différent et nous propose donc, en toute modestie, une vision différente de cette réalité.


Un film à voir, à revoir et à re «revoir»

Mo_Im-Scha
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le 24 avr. 2015

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