Incident at a Corner
Incident at a Corner

Court-métrage de Alfred Hitchcock (1960)

Réalisé deux semaines après la fin du tournage de "Psychose" avec en partie la même équipe technique, c'est le seul téléfilm en couleurs d'Hitchcock, et (quasiment) le seul réalisé en dehors de sa série "Hitchcock présente". Une oeuvre télé tardive - il ne tournera quasiment plus pour le petit écran - dont la durée de presque 50 minutes autorise un développement et une profondeur rendus difficiles par le format 25 minutes des opus précédents.

Le début est génial : la même action, apparemment toute simple - une conductrice force un passage piéton et se fait verbaliser - est vue successivement sous trois angles différents. C'est déjà toute la modernité discursive qui fera florès avec De Palma & co. Le contraste est abyssal entre la ténuité de l'action et son importance pour l'intrigue à venir.

Le scénario repose sur un calembour (attention spoiler) : le gardien se fait traiter de "... officious" par la conductrice furieuse, là où un nouveau voisin entend "vicious" (et va utiliser cette insulte à des fins de nuisance).

Mais le film est plus profond, c'est tout le petit biotope provincial états-unien qui est dénoncé dans ses hypocrisies. Après que le vieux gardien a été accusé de pédophilie, sa petite-fille (Vera Miles) et le mari de celle-ci (G. Peppard) entreprennent une enquête pour le disculper mais, alors même que l'innocence de l'accusé ne fait pas de doute, personne ne veut se mouiller ni évoquer l'affaire. Le combat des justes contre le système ? Un peu démonstratif sans doute, mais le maccarthysme n'est pas loin.

Et l'on pense à ces vies provinciales scrutées par Sirk ou Minnelli. Ne pas oublier combien "Ecrit sur du vent" préfigure Dallas : les motifs de la tragédie grecque se fondent étonnamment dans les joutes verbales de téléfilm de salon. Car tout n'est que théâtre. Et le découpage hitchcockien, impeccable, s'amuse des axes et valeurs, pour organiser un espace proprement cinématographique à partir (et d'une certaine manière contre) ce théâtre social - jusqu'à une plongée vertigineuse qui rappelle celle du chalet final de "La Mort aux trousses".

C'est donc du Hitch-TV à son meilleur. Ici le côté film à chute (ultime gag-rebondissement qui vient scander chaque épisode) est évité grâce au temps d'observation qui permet l'étude de caractères - la femme du banquier en rouge, le proviseur mauviette, le père "honnête homme" dans la limite impartie par le qu'en dira-t-on. On pense à tous ces personnages secondaires qui habitent l'oeuvre du maître, apparitions savoureuses, étranges, parfois effrayantes. Toute une galerie de portraits qui, loin des psychopathes qui ont fait la gloire d'Hitchcock, racontent au contraire le quotidien banal et singulier. Ainsi une bonne part des films anglais, ou "Mais qui a tué Harry" et "Complot de famille" - dans ce dernier l'apparition à l'auberge d'un curé et de ses enfants de choeur, suivis de peu par une jeune fille énigmatique, sont scrutés d'un oeil inquiet par les deux héros à qui on a posé un lapin. C'est le génie du cinéaste, l'inscription dans le courant de la vie de forces souterraines où l'autre est toujours un autre, un étranger à observer dans sa différence essentielle et inquiétante.

Et puis la présence de Vera Miles produit une émotion particulière. C'est avec elle qu'Hitchcock avait lancé le premier épisode de sa première série ("Revenge", en 1955), c'est à elle qu'il rêva en vain pour "Vertigo", à elle qu'il donna deux beaux seconds rôles ("Le faux coupable" et "Psycho") et elle qu'il retrouve ici une ultime fois. Elle est formidable, loin du côté poupée de certaines de ses blondes, en héroïne de mélodrame, têtue, droite et digne.


LunaParke
8
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le 25 avr. 2025

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