L'originalité et la richesse de contenus d'India Song en fait un film hors norme et donc clivant. Si l'on déteste, on quitte très vite la salle de projection. Si l'on aime malgré certains partis pris, la sentimentalité ou l'esthétique discutable, on reste malgré sa durée (deux heures), excessive selon moi... Nombre d'atouts du film peuvent être ressentis comme des faiblesses. J'adore le thème principal composé par Carlos d'Alessio, un tube lancinant et hypnotique. D'autres parleront de rengaine insupportable... Les amateurs de films littéraires sont captivés par la place essentielle du verbe, décliné en voix off, en cris, en appels. Ceux qui préfèrent l'action ne verront qu'un film verbeux et ennuyeux.

Certaines techniques du Nouveau Roman y apparaissent transposées : longues descriptions, effacement des personnages dans le décor au profit des objets, tendance à l'abstraction... La narration est décalée par rapport aux différentes composantes de l'action. Les voix et les images sont désynchronisées. Les personnages ne parlent pas en son synchrone, leurs paroles semblent provenir de l'extérieur de leurs corps, voire d'une autre pièce.

La première partie évoque la vie d'Anne-Marie Stretter (Delphine Seyrig) au Laos et aux Indes, la seconde est centrée sur une réception de l'ambassade de France à Calcutta et la dernière se situe sur une île du delta du Gange. Quand j'ai découvert India Song il y a des décennies, la question géographique ne m'a pas gênée. Mais depuis j'ai bien connu l'Inde... Les astuces d'ambiance, comme les cris d'oiseaux tropicaux ou de la mendiante originaire du Laos, n'ont pas suffit à me faire oublier le tournage en France (l'ambassade, le parc, la végétation n'ont rien d'indiens).

Certains partis pris de distanciation et de répétition peuvent lasser. Trop de scènes sont tournées dans les mêmes pièces, par exemple la salle au piano et au grand miroir. Les personnages apparaissent souvent dans le miroir avant d'entrer dans le champs de la caméra. On ne voit jamais la majorité des invités à la réception, on entend seulement leurs commentaires. Dès le début du film, des voix off présentent longuement les personnages, décrivent et expliquent des situations passées... Répétitions et distanciation rallongent la durée du film. Cela frôle parfois la complaisance. Une telle accumulation de procédés vire peu à peu au maniérisme.

La musique d'India Song correspond au rythme général, d'une lenteur systématique. Les personnages semblent figés, assommés par la canicule. Plusieurs ne s'adaptent pas au climat de mousson (l'attaché d'ambassade autrichien joué par Mathieu Carrière). Les gestes sont lents, comme pensés et pesés à l'avance. L'atmosphère respire le hiératisme et l'esthétisme. Les personnages laissent leurs cigarettes se consumer. D'où une esthétique de la fumée, qui participe à la lenteur de l'action, à son aspect vaporeux. La caméra montre l'ambassadrice allongée sur le sol à côté de ses deux amants, ou à l'aube affalée dans un fauteuil avec ses quatre gardes du corps diplomates...

Delphine Seyrig portent de belles robes, une perruque rousse, joue une vamp qui danse pour fuir l'ennui. Le quatuor dont trois playboys la suivent obstinément. L'ambassadrice élégante multiplie les amants, aime Michael Richardson (Claude Mann), est aimé du vice-consul de Lahore... Ces diplomates crèvent d'ennui, seuls quelques divertissements (réceptions, sorties aux îles) les empêchent de se suicider. Pour Anne-Marie Stretter c'est pire, elle n'a pas d'activités professionnelles. Désoeuvrement, impuissance, ennui, le suicide rode. Comment échapper au vide qui ravage sa vie ? Le vice-consul (Michael Lonsdale), cheveux trop longs et mal sapé, hurle sa passion malheureuse pour la belle. Scandale ! Il doit quitter l'ambassade, mais son cri primal résonne à l'infini dans la rue. Marguerite Duras demandent beaucoup aux interprètes. Aux beaux gosses gravures de mode fascinés par une muse, à la beauté vidée de tout goût de vivre. Je pense à un roman photos, heureusement la musique m'oriente vers une dimension supérieure.

lionelbonhouvrier
7

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le 14 juil. 2023

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