Problématique : Peut-on travestir la réalité historique ? Dans quelle mesure et pourquoi ?


Un film de Quentin Tarantino, sorti en salle en 2009. Durée : 2h32
L’auteur :
Quentin Tarantino est un cinéaste américain né le 27 mars 1963 à Knoxville.
Quentin Tarantino a écrit le scénario d’Inglourious Basterds, ayant dans l'idée de réaliser, plus de dix ans avant sa sortie, un western spaghetti se déroulant pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a, entre autres, réalisé Django Unchained, Pulp Fiction, Jackie Brown, Reservoir Dogs,...
Description et interprétation de l’œuvre
Inglourious Basterds est un film choral de guerre déformant l'histoire de la seconde Guerre Mondiale. En Europe, le lieutenant Aldo Raine forme un groupe de soldats juifs américains pour mener des actions punitives particulièrement sanglantes contre les nazis. "Les bâtards", nom sous lequel leurs ennemis vont apprendre à les connaître, se joignent à l'actrice allemande et agent secret Bridget von Hammersmark pour tenter d'éliminer les hauts dignitaires du Troisième Reich. Leurs destins vont se jouer dans un cinéma où Shosanna, jeune juive qui a assisté à l'exécution de sa famille, est décidée à mettre à exécution une vengeance personnelle.


I - Une œuvre particulière


1) Qui prend la 2e Guerre Mondiale comme cadre historique


L'histoire se déroule durant la Seconde Guerre Mondiale, en France sous l'occupation des nazis. L'histoire met en scène des soldats américains. Les Etats-Unis sont entrés en guerre après le 7 décembre 1941 et l'attaque du port de Pearl Harbor à Hawaï par les Japonais. Dans le film, Hitler évoque l'arrivée des Américains, on peut donc en déduire que l'action se situe après le 6 juin 1944, date du débarquement américain sur les plages normandes.


2) Qui mêle personnages historiques et personnages fictifs


Les personnages historiques :
Adolf Hitler : Devenu Chancelier en Janvier 1933, puis dictateur de l'Allemagne, Adolf Hitler a voulu imposer son régime totalitaire et antisémite au monde.
Joseph Goebbels : Ministre de l’Éducation du peuple et de la Propagande sous le Troisième Reich de 1933 à 1945, son nom reste indissolublement lié à l'emploi des techniques modernes de la manipulation des masses et de la démagogie qu'ont utilisées les propagandes des États totalitaires. Dans ce film, il est réalisateur du long-métrage La Fierté de la Nation qu'il présente à Adolf Hitler.
Winston Churchill : Winston Leonard Spencer-Churchill était un homme d'État britannique. Son action décisive en tant que Premier ministre du Royaume-Uni de 1940 à 1945, son rôle durant la Seconde Guerre mondiale, joints à ses talents d'orateur et à ses bons mots en ont fait un des grands hommes politiques du XXe siècle. Dans ce film, il prend part à une mission fictive organisée par l'OSS : l'opération KINO, devant tuer les membres hauts-placés du IIIe Reich.
Les personnages fictifs :
Les Bâtards : Escouade de 8 soldats américains parachutée en France après le Débarquement en Normandie, ayant pour mission de liquider un maximum de nazis. Ce groupe est dirigé par l'apache Aldo Raine, secondé par l'Ours Juif. Celui-ci fait tout pour être reconnu comme une menace terrifiante par les soldats allemands. Il peut être considéré comme l'incarnation du fantasme de vengeance de tous les juifs.
Shosanna Dreyfus : Jeune juive qui a assisté à l'exécution de sa famille par un colonel nazi. Installée à Paris sous une fausse identité, elle a hérité d'un cinéma, dont elle va se servir pour mettre à exécution sa vengeance personnelle.
Le Colonel SS Hans Landa : Surnommé "le chasseur de juifs", Hans Landa représente à lui seul la folie du nazisme et la haine antisémite. Il apparaît comme un personnage intelligent, cultivé (il maitrise au moins 3 langues), raffiné mais également cynique, manipulateur, froid, calculateur et arriviste.
Frederick Zoller : Soldat allemand rescapé d'une mission contre des américains, il est le héros du film de Joseph Goebbels La Fierté de la Nation. Il représente l'idéal nazi, devant même signer des autographes.


3) Qui offre une fin non historique à la Seconde Guerre mondiale


Inglourious Basterds réinvente l'Histoire, et la fin du dictateur. Adolf Hitler est ici, non pas mort d'un suicide dans son bunker de Berlin, mais assassiné dans un cinéma. Ses meurtriers sont juifs (Shosanna et les Bâtards), mais peut aussi être le cinéaste Quentin Tarantino lui-même. La Seconde Guerre mondiale est alors achevée, avec l'aide du Colonel SS Hans Landa qui, en homme intelligent et cynique, a compris la tournure que prenaient les événements et cherche, en trahissant son camp à se mettre à l'abri.
A propos de cette réécriture de l'histoire, Quentin Tarantino a expliqué lors d'une interview : "Je ne triche pas, je fais inscrire dès le début du film, “Il était une fois…” et non, “Basé sur des faits véridiques” ! Je ne prends personne en traître, c’est un conte, une fiction et c’est affirmé d’emblée. Ça veut dire : “Regardez ce film comme une fantaisie, comme un roman, comme un conte noir”.


II - Une œuvre hommage au Cinéma


1) Au Cinéma de l'époque



  • Une partie du film se passe dans un cinéma de quartier : on le voit vivre par exemple lorsque Shosanna accroche les lettres sur le fronton du cinéma.

  • Les techniques du cinéma : bobines en matière très inflammables interdites dans les transports en commun, les projecteurs et le métier de projectionniste, les techniques de montage.

  • Les films de cette époque : George Clouzot (Les Diaboliques), Leni Riefenstahl (Les Dieux du Stade, Le Triomphe de la Volonté), Georg Willhelm Pabst (L'Enfer Blanc du Piz Palü).


2) Aux œuvres qui inspirent Tarantino


Les classiques :
Le Dictateur de Charlie Chaplin : Tarantino ridiculise comme a pu le faire Chaplin. ll le montre énervé, grandiloquent et hystérique.
Métropolis de Fritz Lang : l'apparition de Soshanna dans la fumée et les flammes.
Le Chat Noir : le nom du personnage Omar Ulmer est un hommage au réalisateur Allemand Edgar G. Ulmer.
Morituri : le nom du personnage Wilhelm Wicki est un hommage au réalisateur Georg Wilhelm Pabst et Bernhard Wicki (réalisateur de Morituri).
Le Secret de Veronica Voss : Dans la scène finale dans le cinéma, le costume de Shosanna a été fait pour quelle ressemble à Veronika Voss, du film Le Secret de Veronika Voss de Rainer Werner Fassbinder.
Jeux dangereux de Ernst Lubitsch : les Basterds y sont remplacés par des comédiens qui utilisent leur don du jeu pour se rapprocher d'Hitler, le climax du Tarantino s'en est beaucoup inspiré.
La Vierge de Nuremberg de Antonio Margheriti : le pseudonyme d'Eli Roth dans le cinéma où se déroule l'opération Kino est Antonio Margheriti.
Le Western :
Le titre : référence à Une poignée de salopards de Enzo G. Castellari
Il Etait Une Fois dans l'Ouest : l'ouverture du film de Tarantino fait référence à la scène où Henry Fonda rend visite à la famille de Claudia Cardinale.
Les films de guerre :
Les Bérets Verts : le nom Aldo Raine fait référence à l'acteur Aldo Ray.
Quand les aigles attaquent : des non-Allemands déguisés en Allemands dans une taverne.
Les Douze Salopards : le film en fait référence grâce au discours que porte le Lieutenant Aldo Raine à ses bâtards.


3) L'Opération Kino :


Le nom de cette opération secrète fait référence aux origines du cinéma : le Kinétoscope des frères Lumière. Le mot Kino est utilisé dans certain pays pour désigner le cinéma. En appelant ainsi cette opération, Tarantino souligne toute la puissance qu'il attribue au Cinéma.


4) Une mise en abîme du Cinéma


Dans le film se télescopent l'opération Kino et la vengeance de Shosanna. En effet, Shosanna prépare un film qui va lui permettre de crier sa vengeance et de la mettre en œuvre. Le film qu'elle a créé vient interrompre l'autre film, celui de Goebbels, autour duquel ont été réunis les dignitaires nazis.
Symboliquement, un combat est donc livré par deux films qui s'entrechoquent : le film de propagande montrant un sniper allemand exterminant ses ennemis, et le cri de vengeance de Shosanna (Métropolis).


III - Une œuvre particulière


1) Qui interroge la fonction narrative


Le récit historique s'écrit selon des règles rigoureuses qui consistent à interroger des sources, mettre en lumière des faits, de les expliquer, de montrer leurs liens avec d'autres faits passés. Ce récit se veut rigoureux, rationnel, il cherche à présenter la réalité de la manière la plus précise possible. Or ce film a une autre logique en changeant ces codes, il réécrit l'histoire.


2) Qui permet la catharsis ?


Qui n'a pas rêvé de tuer Hitler avant qu'il ne commette ses exactions ? Qui n'a pas rêvé d'un héros qui réussirait à tuer Hitler pendant la guerre ? Des tentatives d'assassinats, bien réelles, ont été menées contre Hitler mais elles ont toutes échoué.
Avec ce film Quentin Tarantino met la puissance imaginative du cinéma au service de ce rêve, de ce fantasme. Il donne aux spectateurs la possibilité de voir la violence des nazis se retourner contre eux. Il permet d'appliquer la loi du Talion : "œil pour œil, dent pour dent".


3) Qui place le spectateur dans une posture réflexive problématique


La violence peut-elle être une réponse à la violence ?
Qu'apporte un tel film ? Un soulagement immédiat sans doute. Mais au final, on ne peut soigner l'incurable. La violence vengeresse montrée dans ce film peut en définitive déranger, de même que l'humour noir, la dérision, qui y sont développés. Face à la réalité de l'histoire tous les délires sont-ils possibles ?

Maxence_T_
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le 13 juin 2017

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