Tout a commencé par une bande-annonce clignant de l’œil à la comédie "A nous les petites Anglaises", succès populaire des années 70 inspiré de la jeunesse de son regretté réalisateur Michel Lang. Un film qui, même si je naîtrais bien après sa sortie, continue de m'inspirer une étrange nostalgie. Peut-être parce qu'il a lancé le genre sous-représenté du teen movie français, peut-être aussi parce qu'il a raconté une certaine adolescence finalement pas si éloignée de la mienne. Et puis, la même bande-annonce m'a évoqué le débilou "Quatre garçons pleins d'avenir" des années 90, auquel je voue encore aujourd'hui encore un culte totalement assumé, ou même l'excellent "Le ciel, les oiseaux et ta mère" (j'assume toujours) avec ces personnages filmant leurs vacances avec un camescope numérique tout droit sorti du début des années 2000. Il me semble y avoir, dans le bref marketing d'Interrail, comme un petit goût de madeleine de Proust : dans ces dialogues pas toujours contemporains, dans le jeu parfois inexact de ces acteurs inconnus, dans cette mise en scène un peu naïve, dans ce parfum de jeunesse s'éloignant à petits pas que les trentenaires actuels seront peut-être les plus à même d'apprécier.


Vint le film. Au début, je me suis raidi de gêne dans mon fauteuil face à la ringardise apparente du truc. Interrail ressemble à une petite comédie pour ados maladroite. Ouverture molle, acteurs en roue libre, réalisation sans personnalité qui évoque un clip du ministère de la jeunesse. Au début, donc. Et puis, j'ai tout de même décidé de me laisser porter. Me laisser envelopper par la même nostalgie béate que m'évoque le revisionnage d'un film de Michel Lang ou des vieux Djamel Bensalah. Et c'est là que j'ai réalisé que le teen movie français me manquait terriblement. Car c'est peut-être, au fond, ce qu'Interravail convoque, jusque dans ses nombreuses maladresses : le souvenir d'un genre moribond, et, avec celui-ci, les douces réminiscences d'une jeunesse qui vit ses derniers instants d'innocence. Le film a beau se situer de nos jours, les accessoires et les éléments langagiers semblent renvoyer à une période un peu antérieure, jusqu'au concept même de l'intrigue, road trip européen solidement ancré dans cet esprit Erasmus qui fut lancé avec fracas à la fin des années 80. Cette époque me manque terriblement. Et c'est une somme de petits détails, un feeling étrange, qui ont fini par me faire plonger dans ce doux road trip à l'humeur paisible.


A partir de là, tout passe. Le jeu d'acteur un peu hésitant est contrebalancé par la fraîcheur des nouvelles têtes, jamais vues pour la plupart, et par l'authenticité des rôles locaux. L'évolution des personnages semble aller de pair avec l'évolution des acteurs eux-mêmes. La réalisation, d'un abord anonyme, sait s'emparer des ambiances et spécificités des lieux visités, un peu à la façon d'un film de Sophie Letourneur ou d'un documentaire : l'Allemagne, la Hongrie, la Bulgarie, d'autres encore sont filmées sans esbroufe, avec des acteurs locaux aux délicieux accents. Il y a en fait quelque chose de profondément authentique dans ce film, qui progresse au rythme du voyage de ses interprètes. J'ai même vu dans la démarche une honnêteté qui fait défaut à la plupart des gros films projetés au cinéma, y compris chez nos brillants auteurs primés : pour citer de nouveau Letourneur, une certaine innocence, une intelligence dans le regard, une hauteur de vue sans embarras de forme qui, derrière les maladresses techniques, cachent une forme profonde de sincérité. Les hésitations des jeunes acteurs, les couacs de mise en scène, tout ce qui rend le film techniquement très imparfait, concourt dès lors à le rendre précieux et irremplaçable. Il faut donc accepter ses défauts, peut-être même les considérer comme partie intégrante de l'expérience, pour comprendre qu'on est face à une certaine forme de talent brut, loin du polissage lassant que la production unifiée (notamment française) a tendance à imposer en salles.


Interrail est le récit d'une jeunesse, à la fois présente et légèrement révolue. Interrail est le road-trip d'une Europe plurielle, loin des clichés servis dans la plupart des comédies françaises. Interrail est aussi le récit d'une expérience de tournage, de Paris à Berlin, de Budapest à Thessalonique. On apprend à y capter une vérité que finalement peu de films français sont capables d'offrir, même si, et c'est bien tout le paradoxe du film : celle-ci est cachée. Elle est dans ce poste-frontière slave où les passagers d'un bus font la queue, elle est dans ce train qui tombe en panne. Elle est dans la rencontre avec Francis, le Bulgare à la camionnette. Elle est dans les retrouvailles entre Malik et son grand frère à Budapest, loin de l'idiotie superficielle du film du même nom. Elle est dans ce triangle amoureux maladroit entre lycéens. Elle est dans ces parties de drague dans des boîtes de Berlin ou dans des festivals de musique en Europe de l'Est. Elle est dans ce souvenir doux et vénéneux d'une jeunesse informulée et pourtant intemporelle, qu'on chérit jusque dans ses hésitations les plus maladroites. Outre le fait qu'Interrail convoque ma propre jeunesse (malgré sa prétendue actualité), il me redit à quel point le voyage est une denrée précieuse. Son humour hésitant, son entrain pour la découverte, le rappel simple et innocent qu'il fait à chaque instant de l'importance de la solidarité, en font autant un teen movie ancré dans le réel, qu'un road trip véritable. J'y appose une recommandation aussi sincère que la démarche qui l'anime. Les acteurs hésitants, mais talentueux ? Je les aime. La réalisation un peu terne, mais honnête ? Je l'aime aussi. L'humour, d'une grande simplicité ? Le message, très pur ? Je les adore. Parti simple madeleine de Proust d'un genre que j'affectionne, Interrail m'a surpris et m'a enchanté. Je le reverrai, c'est certain.

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le 11 juil. 2018

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Seb C.

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