Le problème avec les cinéphiles, c’est qu’ils voient des références partout. Impossible de regarder un film sans citer l’influence d’un Godard par-ci ou l’héritage d’un Ford par-là. Et quand une nouvelle toile d’exploration spatiale sort sur les écrans, et bien c’est toujours la même rengaine : c’est forcément inspiré de 2001 : L’Odyssée de l'espace, chef-d’œuvre intemporel s’il en est. On nous a déjà fait le coup avec Gravity, un an auparavant, alors que les deux films n’ont guère en commun que de se situer dans l’espace (tout juste notera-t-on une référence au fœtus au détour d’une scène). Alors au risque d’en froisser plus d’un, je dis STOP !...
Sauf que, en ce qui concerne Interstellar, force est de constater que le film cite abondamment le film de Kubrick. Plus que Sunshine de Danny Boyle, plus que Moon de Duncan Jones. Mais avant d’en venir là, une clarification :
Oui, Interstellar est un bon film. Nolan est un amoureux du septième art, l’un de ces rares metteurs en scène capables d’offrir des expériences de cinéma dantesque et n’oubliant jamais de réserver une place prépondérante à l’émotion (l’héritage de Spielberg ?). Ses personnages sont attachants et brillamment interprétés (le phœnix Matthew McConaughey poursuit brillamment sa nouvelle carrière, Jessica Chastain irradie le film de sa grâce naturelle) et son histoire est suffisamment épique pour transporter le spectateur dans un voyage de près de 3 heures sans que le poids des minutes ne se fassent ressentir (preuve que le temps est relatif). Le réalisateur de The Dark Knight en profite même pour nous montrer un visage plus humain de sa personnalité — plus encore que dans Inception — faisant taire les mauvaises langues pour qui le terme « style Nolan » est employé péjorativement pour railler les films inutilement sombres, glauques et violents.
Là pourrait s’arrêter la critique, accompagné d’une note dithyrambique de 9/10. Mais malgré toutes ces qualités évidentes, ce serait omettre le fait qu’Interstellar ne transcende pas. La faute à un fort sentiment de déjà-vu et à un grand frère plus vieux de quelques 45 années.
Car, et c’en est presque troublant, le film semble jouer à outrance la carte de la filiation avec 2001 : L’Odyssée de l'espace. On le ressent tant dans son aspect visuel (la représentation de l’espace ; les robots à la HAL 9000 qui ont la forme du monolithe ; les passages de vortex alternant les gros plans sur le scaphandre du héros…) que dans la construction de son scénario.
Ainsi, on peut facilement mettre en parallèle des séquences et intrigues de 2001 et Interstellar :
- le message venu d’ailleurs qui guide les protagonistes (le monolithe / la bibliothèque),
- la mutinerie (HAL 9000 / le professeur Mann),
- le protagoniste obligé de partir vers l’inconnu sans espoir de retour (le passage Jupiter et au-delà de l’infini / la traversée du trou noir),
- l’arrivée incompréhensible dans un lieu étrangement familier (la chambre style Renaissance / la chambre de Murphy en 5 dimensions) ;
- le retour dans la voie lactée (l’avènement de l’enfant étoile / la dérive de Cooper).
Il serait de mauvaise fois de parler de remake, mais force est de constater que malgré le talent évident de Christopher Nolan, l’ambition du scénario et l’amour qu’il porte pour son projet, tout cela sent un peu trop le réchauffé. Parce que le plus embarrassant dans cette entreprise, c’est que le réalisateur anglais n’est pas le premier à citer le film de Kubrick, si bien que l’on se met tout autant à penser à Sunshine, Solaris (le Tarkovsky comme le Soderbergh) ou encore à Contact de Robert Zemeckis. Soit une longue lignée de 2001-like.
Et encore, si seulement Nolan avait tiré les leçons du chef-d’œuvre kubrickien ! En noyant son spectateur sous un torrent de termes et théories scientifiques (gage de réalisme, certes), Nolan se rapproche en réalité moins du film que de l’adaptation littéraire de 2001 : L’Odyssée de l'espace dans laquelle Arthur C. Clarke commettait l’erreur de rationaliser le dernier acte du récit alors que Kubrick proposait une expérience purement sensorielle, laissant libre champ à l’interprétation du spectateur. Tout l’inverse d’un Gravity qui s’éloignait des ambitions interstellaires de l’œuvre matricielle de 1968 pour livrer un récit simple, humain et allégorique (partir à la dérive, sombrer inlassablement, lutter, retrouver pied et finalement se relever… pas besoin d’être dans l’espace pour traverser de telles épreuves), le tout doublé d’une mise en scène réglée comme sur du papier à musique. Un aspect sur lequel le film de Nolan reste en retrait, plus intéressé par le retour de formes cinématographiques qui ont bercé sa (notre) cinéphilie plutôt que par les nouvelles possibilités de mise en scène offertes par la technologie actuelle. C’est un choix louable et payant, vu la réussite formelle du film, même si, un an après sa sortie, le tour de force d’Alfonso Cuarón est encore dans toutes les mémoires.
Pour conclure sur les déceptions, la « clé » du film (appelons cela le « grand mystère à résoudre ») est malheureusement trop prévisible si bien que les fans de science-fiction l’auront anticipé dans les 10 premières minutes du film. Un comble de la part du scénariste malin d’Inception !
Malgré cette liste presque interminable de réserves, Interstellar reste une belle expérience de cinéma (preuve que les reproches aussi sont relatifs). Visuellement euphorisant, indéniablement épique et passionné, il n’est cependant pas le chef-d’œuvre espéré de la part d’un metteur en scène de la trempe de Christopher Nolan. Au regard de sa filmographie, il n’y a pas de honte à lui préférer le perfectible The Dark Knight Rises, véritable ride émotionnel bombardant son récit au rang de tragédie grecque. Avant la sortie de son dernier opus, le cinéaste disait qu’il était « impossible de réaliser un film d’exploration spatiale en faisant comme si 2001 n’avait jamais existé. » Il avait raison.