Chers Senscritiqueurs,
Après avoir lu une bonne vingtaine de critiques, j'ose avancer que vous avez un point de vue beaucoup trop cinématographique sur ce film-évènement qu'est Interstellar.


En effet on peut s’appesantir sur la qualité de la photographie, sur les défauts et les qualités de la construction du scénario, sur le didactisme des dialogues, la semi-réussite de Hans Zimmer, etc. Vous le faites très bien et je le ferais très mal, mais je pense que c'est une façon limitée d'aborder la bête. En effet, plus qu'un film, Interstellar est une œuvre originale (dans le sens où ce n'est pas une adaptation, l'imaginaire développé étant assez convenu) de science-fiction. Et qui dit science-fiction dit (en principe...) questionnement et éventuel message. Au delà des vaisseaux qui font piou-piou, des plans sur l'espace et de l'histoire des personnages.


Alors que questionne Interstellar ? Selon moi, c'est l'instinct de survie individuel comme source potentielle de notre destruction collective.


[SPOILERS EN VUE]


Dès le départ, le monde en extinction que nous présente Nolan est une conséquence directe de ce paradoxe : cet instinct de survie, présent chez toutes les espèces vivantes, cette rage de bonheur censée assurer notre perpétuation, voilà qu'il est en train de détruire notre planète. 7 milliards d'hommes "développés", ne sachant pas faire passer l'intérêt collectif avant leur intérêt propre (étendu à leurs proches) se seront obstinés à continuer dans une impasse. D'ailleurs, ce que le film montre sur Terre est fort probable : nul doute que les Américains poursuivront obstinément leur monoculture tueuse de biodiversité, de sols et donc hautement vulnérable, même quand il se sera avéré qu'elle ne les conduit qu'à la ruine. À l'image de Tom, fermier exemplaire dans sa vision court-termiste.


Bien sûr le film va plus loin dans son idée : ainsi, une fois passés dans le trou de ver, alors que l'avenir de l'humanité repose sur quelques frêles épaules, le bon déroulement de la mission va sans cesse se confronter à l'individualisme des protagonistes, largement influencé par cette force qu'on appelle l'empathie.


C'est ainsi que Cooper va se laisser influencer dans ses choix par la promesse qu'il a faite à sa fille de revenir la voir. C'est ainsi qu'Amelia Brand va désirer privilégier la planète de son amour en dépit du bon sens. C'est ainsi que le docteur Mann va falsifier des données et tromper l'humanité entière dans le seul but d'être sauvé et de revoir un jour ses congénères. Au passage, j'ai lu un peu partout que ce passage était maladroit d'un point de vue scénaristique et un peu lourd ; non content de l'avoir beaucoup apprécié, je trouve qu'il apporte ici une pierre fondamentale à la réflexion du film.


Bien sûr, Cooper et Brand vont, une fois au pied du mur, mettre de côté leurs désirs personnels pour se concentrer sur le succès de leur mission. On est à Hollywood quoi. Mais c'est justement ce qui va leur apporter le respect du spectateur : leur capacité d'abnégation pour l'avenir de l'humanité.


Ainsi j'ai trouvé (mais je me sens un peu seul) qu'en situant son histoire dans une situation critique pour l'humanité entière (ce qui est un choix, entendons-le), Nolan met en lumière d'une admirable façon la dualité de cet instinct qui anime chacun d'entre nous, instinct sans lequel nous ne serions pas le millième de ce que nous sommes mais qui semble inadapté quand il s'agit de la survie de l'espèce.


Dans cette optique, Interstellar s'inscrit moins, dans le fond, dans la lignée de Solaris, 2001, Moon ou Contact que vous avez été nombreux à citer, mais plutôt selon moi dans celle des œuvres d'Asimov, auteur qui a toujours été fasciné par cette question de l'humanité en tant qu'espèce, que ce soit dans Fondation (du premier tome avec la création de la Fondation pour enrayer le déclin de l'Empire, au dernier avec les réflexions autour de Gaïa) ou dans les romans du cycle des Robots (qui mettent en scène la colonisation de l'espace en réponse aux menaces pesant sur la Terre).


Alors bien sûr, on passe un formidable voyage à rapprocher de cette légendaire Odyssée de l'Espèce, mais Interstellar ne se contente pas de cette forme extraordinaire et propose selon moi de vraies réflexions de fond, qu'il ne tient qu'à nous d'appliquer à notre Terre actuelle.

Nordkapp
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le 17 nov. 2014

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Nordkapp

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