Allongée sur la banquette arrière d'une voiture, une adolescente raconte. Enfant, elle rêvait de cet âge qui est désormais le sien : celui des dates, des balades main dans la main et des virées en voiture. Mais, maintenant qu'elle y est, cela ne ressemble en rien à un rêve réalisé. Dans cette friche derrière un immeuble en ruine, elle tripote une fleur qui a poussé à la faveur d'une fissure dans l'asphalte. Mélancolique, elle semble contempler ce rêve dérisoire. Qu'est-ce qui n'a pas fonctionné ? Qu'est-ce qui s'est perdu à l'heure de quitter l'enfance pour que Jay traverse ainsi son adolescence sans conviction, sans enthousiasme, sans passion ?
It Follows est un film d'horreur. Mais c'est surtout un splendide teen movie qui, dans la veine du génial Springbreakers, capte avec une rare justesse le désœuvrement de la jeunesse de cette Amérique désenchantée qui n'est plus (et ne sera plus jamais) l'horizon des rêves. Bien sûr, il y a cette chose qui suit. Mais il y a surtout cette succession de tableaux (au lycée, au bord du lac, à la piscine, sur le playground) où l'ennui s'affirme comme le dénominateur commun. Entre ces adolescents qu'on sent gênés par leur pulsions naissantes, il n'existe aucune joie. Elle semble avoir périt avec l'enfance. Cette dernière n'est pas loin et pourtant à jamais inaccessible. C'est désormais le territoire éphémère et pourtant inépuisable de l'adolescence qu'il faut explorer. L'antichambre de l'âge adulte, de la vie réelle.
Cet ennui est sublimement mis en exergue par une suite d’incessants travellings qui déplacent le cadre avec une excessive lenteur. Les plans larges soulignent l’absence d’action. De grands espaces où rien n’arrive. Et la langueur du film répond à la tristesse des personnages qui le peuplent.
Le coup de génie horrifique, bien sûr, c’est que n’importe quel inconnu dans le champ peut-être le suiveur, l’inconnu qui tue. Le doute est constant, l’angoisse permanente. La caméra tournoie et le temps d’une révolution, une silhouette s’est rapprochée. La peur nous gagne. Tout être marchant est une menace.
On se passe une malédiction au gré d'un rapport sexuel. La symbolique semble transparente : sexe = mort. Mais n’est-ce pas plutôt ce que le sexe implique (le passage à l’âge d’adulte) qui représente le vrai danger ? On remarque d’ailleurs que les adultes sont absents. Comme s’ils ne pouvaient pas exister. Ou comme s'ils ne pouvaient pas vivre dans le même monde que les adolescents. En classe une professeure lit une oeuvre de TS Eliott où le poète, se voyant vieillissant angoisse à l’idée de sa fin prochaine.
Lovecraft l'a dit : l'âge adulte, c'est l'enfer.
L’âge adulte est-ce la mort ? La vie réelle est-ce l’ultime danger ? Jay, Kelly, Paul et Yara se cloîtrent, poussant une chaise contre la poignée de la porte. Dans le confort de leur chambre, celle dans laquelle ils ont grandit, celle dans laquelle ils ont été enfants, ils sont protégés de la vie réelle. Jay ne veut plus sortir. Être adulte, exister dans ce monde, c’est trop dangereux.
Les adolescents ne savent que se comporter comme des enfants. Ils fuient, s’installent au bord du lac, ne comprennent pas que le danger les suivra. (La vie est réelle et partout, il n'y a pas d'échappatoire). Ils échafaudent un plan délirant d’électrocution dans une piscine. Plus tout à fait enfants, pas encore adultes. Leurs illusions tombent petit à petit en lambeaux.
La ville tombe en lambeaux aussi. Detroit, splendide décor déliquescent, représentation géographique de l’état psychique de Jay. Une partie se tient, parce qu’il faut bien qu’elle se tienne, mais le reste est en ruine, comme l’enfance abandonnée. Les rêves ne seront jamais réalisés. Jay et Paul se tiennent la main dans le dernier plan. Mais sur leurs visages, nulle joie. Seule une forme d’inquiétude, peut-être de résignation. Et les derniers mots prononcés dans le film (par Yara en l’occurrence) évoque la certitude de la mort.