"La meilleur façon d'marcher c'est encore la notre..."

Le premier film de David Robert Mitchell, « The Myth of the American Sleepover » qui racontait la dernière soirée d’une bande de jeune avant la reprise des cours n’était malheureusement jamais sorti en France, bien que remarqué à Deauville en 2010 (sorti cependant directement en DVD au mois de juin 2014). Véritable surprise ce « It Follows » qui porte bien son nom, deuxième film du jeune réalisateur indépendant américain, qui peut se voir comme une continuité du précédent et qui insuffle un vent de fraîcheur sur le cinéma horrifique américain. Genre malmené depuis plusieurs années, trop cantonné aux mains des grosses sociétés et servant annuellement le même film en found-footage raté et totalement éculé. Mais ce genre est extrêmement peu coûteux, et grandement lucratif. À en croire les prochaines sorties d’un énième « Paranormal Activity » et des « Project Almanac » et « Unfriended », on a pas fini d’en avoir sur nos écrans. Le style est souvent prétexte à une absence totale de mise en scène. Ce qui n’est pas le cas ici.
Le film a été très bien reçu au Festival de Cannes 2014 où il était présenté en sélection officielle à la Semaine de la Critique et a été couronné du Prix de la Critique à Deauville où il était en compétition en septembre dernier.


Le film n’est pas un teenage movie d’horreur classique dans le sens où celui-ci n’use pas de la majorité de ses codes. Mis à part pour le postulat de départ qui est la question de la sexualité, présence quasi obligatoire dans le cinéma horrifique américain. C’est en effet après un acte sexuel que le personnage principal, Jay, a l’impression d’être suivie. Et c’est uniquement via un rapport sexuel qu’elle pourra s’en débarrasser. Les protagonistes ont cet âge auquel la découverte de sa sexualité est quelque chose d’effrayant, elle est donc ici une des origines principales de l’angoisse. Les clichés du genre s’arrêtent ici, le reste étant beaucoup moins conventionnel, sortant des sentiers empruntés par les grosses productions du genre depuis quelques années.

Les personnages de « It Follows », remarquablement bien interprétés, n’ont que quelques années seulement de plus que leur prédécesseurs de « The Myth of the American Sleepover », mais ils envient déjà leur insouciance. Avec des protagonistes à un âge des plus troublants, le film aurait pu être un slasher. Mais ici, point de tueur masqué, mais une présence des plus effrayantes car à visages multiples donc insaisissable. Et c’est ce qui fait la qualité première du film : son universalité. Car il ne fait aucun doute que cette présence fait écho à beaucoup d’entre nous. Qui n’a jamais fait ce rêve oppressant où l’on se retrouve suivi par quelqu’un ou quelque chose dont on arrive pas à savoir ce qu’elle est exactement ? Cauchemar où l’on a beau courir, vouloir y échapper, la présence finit toujours par réapparaître au coin de la rue, quand aux aguets, on pense y avoir échappés. Présence qui telle l’aiguille de l’horloge de la vie nous approche inévitablement de notre propre mort qui est probablement la plus grande angoisse qui soit. Car le film est bien un film d’angoisse et non pas un film d’horreur.

Aux jump-scares, David Robert Mitchell privilégie une atmosphère légère et anxieuse. Il n’est jamais question d’horreur pure, mais plutôt d’un sentiment d’effroi constant. L’ancrage géographique y est pour beaucoup. Le film se déroule dans la banlieue défraîchie de Détroit, complètement ravagée par la crise économique où la mort rôde.
Imprégnant les lieux d’une douce nostalgie quant à une prospérité d’antan. Le spleen de cette jeunesse qui en est issue se fait ressentir à chacune de leur apparition à l’écran nimbant le film d’une douce mélancolie. Cette ambiance se mêle à ravir à celle du film d’angoisse. L’ambition esthétique du film est haute et on ne doute pas un seul instant que David Robert Mitchell aime « Blue Velvet » de Lynch, ou encore « L’Étrange Créature du Lac Noir », « L’Invasion des profanateurs de Sépultures », « La chose d’un autre monde » et une grande partie de la filmographie de Cronenberg et de Jacques Tourneur (la scène dans la piscine municipal). Le film composant avec une musique proche de celle de Carpenter, typique des 70’s, 80’s. Non, le synthé n’est pas mort.

Le film est donc très stylisé, et ça lui va bien. Alors que cela aurait pu donner un côté très léché, le soin apporté au film est clairement approprié à l’ambition du réalisateur. Il prend le temps de composer ses plans, sa lumière, les acteurs dans son cadre, etc. La vraie réussite du film vient de son ton entre réalité et onirisme. Le film semble à la fois ancré aujourd’hui, dans notre réalité, et à la fois en dehors. Un tout petit peu en retrait, hors du temps. Par moment des longs plans descriptifs apportent ce côté réaliste, et puis brusquement on se retrouve avec des effets de zoom plus oniriques, à tel point que d’un point de vue narratif, la mise en scène nous perd entre réalité et rêve éveillé, pure invention du personnage principal. Et c’est aussi de là que naît cette sensation de malaise tout au long du film. Car jamais la caméra ne nous dit où regarder, et se tient à distance nécessaire de ses personnages pour créer cette ambiance. Ce point de vue objectif ne nous prévient jamais d’un danger, obligeant le spectateur à être constamment sur ses gardes.
Le genre horrifique est probablement celui qui permet encore aujourd’hui d’expérimenter pas mal de choses pour ce qui est de la mise en scène sans que le public ne soit désarçonné. À l’image de cette liberté, le montage du film est incroyablement délié, vaporeux. Même s’il n’est pas exempt de défauts, le film s’essaie à pas mal de choses sans jamais sombrer dans la parodie ou le kitsch.

Il est agréable de voir quelque chose de frais. Un réalisateur qui prend le genre au sérieux. Le réalisateur n’est pas moraliste, et ne souhaite pas livrer une fable dans laquelle la malédiction se transmet comme une MST. Mais c’est probablement ce que verront certains. D’autres pourront peut être se dire au moment du générique qu’ils sont passés à côté du film qui est l’exemple même de ceux auquel on peut être totalement imperméable si on refuse de se laisser porter dés le début. Il ne plaira probablement pas à tout les fans de films d’horreur dont la peur est créée par ce qui se passe hors-champs, mais à ceux qui aiment s’angoisser avec un film à l’atmosphère oppressante.
Efficace, le réalisateur livre avec « It Follows » un film très généreux dans sa forme comme dans son fond. Par ailleurs modeste, conscient de son statut, il s’agit d’un film de série B d’angoisse de bonne qualité. Un long-métrage au charme fou, à ne pas réduire au pur exercice de style, et qui confirme que les prochaines perles du genre viendront sûrement du cinéma indépendant.
LeBarberousse
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le 1 févr. 2015

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