L’inhérence, à travers le cinéma et notamment les films d’horreur, des problèmes qu’engendre la sortie de l’adolescence semble une source d’inspiration intarissable, souvent caricaturale, rarement judicieuse. On pourrait citer mille exemples. Parmi les meilleurs on retiendra donc le caustique et ravageur « Les griffes de la nuit », l’onirique « Rumble fish », le profondément intériorisé « Paranoid park » ou le récent, désespéré et sordide « The smell of us ». Quatre films somme toute très différents dans leur genre, et leur approche mais qui ont cette récurrence de mettre l’image là où cela fait mal. Tout comme « It follows » ! Car il serait réducteur, de ne considérer ce film comme unique produit labellisé « horreur », nous sommes loin ici des intentions d’un James Wan ! David Robert Mitchell revendique plutôt ses inspirations auprès de Cronenberg, Carpenter, Tourneur ou encore du film « Shining ». Chacun de nous devant y retrouver leurs petits. Cela est dit en ce qui concerne l’habillage, excellent du reste. De quoi s’agit-il ? Tout commence véritablement avec Jay, prototype même de la jeune américaine bien sous tout rapport qui se voit affligée d’une malédiction après avoir couché avec un bad boy. Et quelle malédiction ! Elle sera poursuivie par une bande d’horribles tueurs zombiesques, lents mais déterminés à lui faire payer sa faute, à moins de contaminer elle-même quelqu’un d’autre. Ouch ! Ecrit et lu de cette manière, l’idée semble tordue. Il n’en est rien ! Car David Robert Mitchell, sait où il nous emmène, et nous convainc très vite de la suivre, malgré l’a priori du départ. Il faut avouer qu’il s’en donne les moyens, et son ambition trouve écho face à un spectateur médusé, ne sachant pas trop où il va, mais qui, face à un ensemble de prises de vues originales (travellings judicieux, gros plans sur des gestes qui semblent anodins, le péril presque toujours hors champs…), une mise en lumière angoissante ( à l’image de la jeune fille du début sur la plage par exemple), un montage millimétré et quelques effets de styles bien trouvés, se partage entre se cramponner à son siège et se prendre la tête, curieux, épiant tout indice pour comprendre. La réalisation est ici plus que maitrisée, installant le propos en forme de puzzle cérébral. A l’image de la ville de Détroit (l’une des métropoles meurtries et à terre depuis la crise de 2008), le passage de l’adolescence à l’âge adulte, se transforme en champ de ruines. Le fléau infligé à Jay, la « délurée » stigmatise bien l’esprit prude de la société américaine. Elle a franchi la frontière virtuelle de l’interdit, elle doit payer ! Ce sentiment est renforcé d’ailleurs quand notre bande évoque leurs escapades de jeunesse pour aller à la fête foraine, traversant la frontière entre les quartiers résidentiels de Detroit et les bas-fonds, bien évidemment au grand dam des parents. Et tout le film repose sur ces interdits, dénonçant un système dont la morale hypocrite entrave l’épanouissement. La sexualité stigmatisée comme source de tous les maux, alors que d’autres dangers (incestes, pédophilie, viols… tout y est suggéré dans le film) sont eux, occultés par les adultes. Pas étonnant que face à une telle injustice les ados apeurés se rebellent, ou névrotisent et David Robert Mitchell de nous en démontrer le constat (scarification parabolique de brins d’herbes sur une cuisse, contamination volontaire, suicide…). Les adolescents ne trouvent plus chez les adultes, le nécessaire soutien pour franchir ce cap de vie difficile. Ils l’affrontent donc avec leurs propres armes, vivants ou morts… Réelles ou virtuelles. Nous sommes très loin d’une vision à la Lenny Clark, mais beaucoup plus proche d’un « Virgin suicide ». Et pour ceux qui s’attendaient au grand retour du « slasher movie », revisité, ils en sont pour leurs frais. A défaut d’un grand film d’horreur pétocheur et sanguinolant, « It follows » est un film flippant et traumatisant. Il confère, posé entre imaginaire et réel, la nécessaire remise en question notre société tellement aveuglée par ses peurs qu’elle ne voit plus le danger.
Fritz_Langueur
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le 9 févr. 2015

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Fritz Langueur

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