Biographie d’un peintre, histoire de la chute d’une dynastie, réflexion sur l’art et le corps : les ambitions ne manquent pas au film d’Im Kwon-taek, qui cherche à exprimer à quel point l’intime et le collectif, le passage du temps et la postérité de l’art peuvent se mêler au sein d’une destinée d’exception.


Car son protagoniste a effectivement à la trajectoire idéale pour traverser l’époque : roturier méprisé, artiste sensitif qui se refuse à l’intellectualisation et aux discours trop littéraires que peuvent faire les élites sur les règles à respecter pour peindre, il préfigure en un sens la révolte du peuple face à ses dirigeants figés et corrompus. La liberté de son trait, l’instinct pur de sa création sont autant d’affirmations de liberté ; avant tout programme théorique ou philosophique, le peintre est un corps qui s’enivre entre les vapeurs de l’alcool et la volupté des femmes. A l’autre bout du spectre, le cinéaste donne à voir les difficultés de l’existence, le froid, la boue et les revirements politiques sur lesquels aucun réel espoir ne semble pouvoir se greffer.


Le désir de trop en dire va assez rapidement ankyloser la structure générale du récit : le montage est abrupt, le liant entre les séquences se fait attendre et les échos entre la grande et les petites histoires restent à l’état d’intentions, sans que l’émotion pourtant montrée à l’écran ne soit vraiment partagée. Etrange sentiment que de n’être finalement touché que par ce qui se fait en marge de la vie, à savoir ces peintures fragiles sur des feuilles fines et froissables.


Car si l’art du récit pêche par excès de trop vouloir signifier, l’osmose esthétique avec le talent du peintre est bien palpable. La création des œuvres retrouve cette sensualité délicate dans une maitrise impeccable du geste, et les quelques incursions de l’artiste dans la nature pour éduquer son regard offrent de très beaux plans, concurrents des tableaux par un autre moyen d’expression, une photographie délicate et colorée où les arbres, les oiseaux ou les roches seront ensuite réduites à leur essence par l’encre et le pinceau.


L’humilité finale du peintre, et son retour, dans tous les sens du terme, à la matière (le froid, la neige, la glaise, la braise), auraient pu faire le sujet unique de ce portrait. Car, lorsqu’il entrevoit cet accord des sens et du trait, Im Kwon-taek touche à l’essentiel, comme son sujet synthétise l’eau noire sur la feuille blanche. Le spectateur lui-même devra se contenter de ces éphémères et rares épures pour accéder à la vérité d’un artiste finalement bien mystérieux.

Sergent_Pepper
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le 14 janv. 2021

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