Qui est le film ?
Premier long-métrage d’un Xavier Dolan à peine majeur, J’ai tué ma mère arrive en 2009 comme un cri venu du Québec, un geste jeune, féroce, excessif et donc immédiatement remarqué. Le film n’a rien de discret, ni dans sa forme, ni dans son titre, ni dans son urgence. Il raconte l’histoire d’Hubert, adolescent en guerre ouverte avec sa mère, prisonnier d’un amour-haine. Si l’affiche promet un récit générationnel sur les douleurs de la jeunesse, le film vise plus loin : il tente de filmer un arrachement, une naissance à soi, à travers une séparation aussi intime que douloureuse.

Que cherche-t-il à dire ?
Sous son apparente chronique adolescente, J’ai tué ma mère porte un projet plus dense : interroger ce que signifie devenir soi lorsqu’on est encore englué dans les figures fondatrices : mère, école, autorité. Dolan filme le conflit non comme un obstacle mais comme un passage. Son cinéma, ici, est un théâtre de la crise : c’est en hurlant, en fuyant, en surjouant, que les personnages tentent d’exister. Le film repose sur ces questions : comment aimer quelqu’un dont on cherche à se défaire ? Comment tuer symboliquement la mère sans cesser de l’aimer ? La mise en scène épouse cette tension, entre baroque et réalisme, entre confession et performance.

Par quels moyens ?
Dès les premières scènes, Dolan fragmente son personnage, Hubert, à travers une série de confessions face caméra. Ces séquences rompent la narration classique pour installer un dispositif frontal : Hubert ne joue plus, il se raconte, il se regarde. En se filmant lui-même, Dolan interroge la fabrication de son identité. Ce geste performatif, presque narcissique, devient pourtant outil de vérité : c’est par la mise en scène que le personnage (et son auteur) tente de se définir, en dehors du regard de la mère.

Le style du film épouse les pulsations adolescentes : ralentis outranciers, musiques lyriques, couleurs saturées. Un ralenti sur la marche d’Hubert, casquette vissée sur le crâne, sur fond de Wagner, frôle le ridicule mais c’est précisément par cette esthétique que l'adolescence est représentée.

La mise en scène du conflit mère-fils passe aussi par un usage précis du cadre. Souvent, les deux personnages sont filmés ensemble dans des plans serrés, étouffants. Lors des disputes, la caméra épouse les ruptures : elle tremble, déraille, coupe brutalement. Le montage suit les mouvements d’humeur plutôt que la logique narrative.

Paradoxalement, les moments les plus forts ne sont pas ceux où les personnages crient, mais ceux où ils ne peuvent plus rien dire. Un plan fixe sur la mère, seule après une énième dispute, visage fermé, éclaire tout ce que le film évite de verbaliser : la fatigue, l’incompréhension mutuelle, l’amour étouffé. Le film, malgré son bavardage, reste hanté par ce qui ne se dit pas.

Le plus grand geste de mise en scène, peut-être, est de ne pas psychologiser la mère. Elle n’est ni une caricature d’autorité, ni une victime. Elle reste en dehors de la grille d’analyse du fils. Dolan la filme avec une forme de pudeur qui contraste avec la nervosité du reste. Elle est là, avec ses gestes maladroits, ses contradictions, son amour mal exprimé. Et c’est précisément ce refus de l’expliquer qui la rend touchante.

Où me situer ?
Le film déborde de lui-même, comme un trop-plein qui ne sait pas encore se canaliser. Dolan ne cherche pas à séduire le spectateur par la maîtrise, mais à lui transmettre une intensité. Il filme comme on saigne. Pourtant, cette sincérité s’accompagne parfois d’une forme d’autosatisfaction formelle : certains ralentis paraissent fabriqués, certains effets trop attendus. On sent le jeune cinéaste à la recherche de son propre style, et parfois déjà trop conscient de sa posture d’auteur. Mais cette tension entre authenticité et performance, entre cri du cœur et geste esthétique, fait aussi le charme bancal du film.

Quelle lecture en tirer ?
J’ai tué ma mère ne raconte pas un meurtre, mais un élan vital : celui de devoir s’extraire de l’origine pour pouvoir exister. Le cinéma y devient un espace d’émancipation, de conflit et de réconciliation possible. Le film n’est pas abouti, mais il est habité par une urgence, une sincérité. Il interroge ce que signifie "devenir soi" quand l’amour empêche autant qu’il nourrit. Et si Dolan filme parfois trop, trop fort, trop vite, c’est peut-être parce que le cinéma, à cet âge-là, n’est pas encore un art : c’est une nécessité.

cadreum
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Créée

le 10 avr. 2025

Modifiée

le 3 août 2025

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