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Folie cinéphile et maniaquerie complétioniste m’ont lancé dans la sotte idée de découvrir l’intégrale d’une saga James Bond sur laquelle j’ai de profondes lacunes, en me procurant le coffret des 24 premiers films. Si les périodes Brosnan et Craig me sont familières du fait de mon âge, je n’ai jamais dépassé les trois premiers volets de cette périlleuse entreprise. Dr No et From Russia with Love ne m’avaient pas laissé un souvenir terrible, mais quitte à faire les choses, autant les faire bien. C’est donc la fleur au fusil que je m’y met, conscient des problèmes que je vais rencontrer en chemin. Alors démarrons avec le volet initiateur de la saga la plus pérenne du cinéma, qui, hasard des calendriers, semble aujourd’hui sur le point de tomber dans l’oubli total dû à une gestion catastrophique du nouvel ayant droit : Amazon (vous aussi participez au sondage X lancé par Jeff Bezos pour choisir le nouvel acteur, et peut-être même pourriez vous gagner un sneak peak sur les séries et spin-offs à venir).


S’il est une chose que l’on ne peut pas retirer à cet opus de Terence Young, c’est son Iconisation immédiate. Première mouture, est presque tout y est déjà :

  • La présentation par le fameux “Bond, James Bond” qui se fait en insert sur différentes parties du corps du héros avant de dévoiler son visage.
  • Sa capacité d’aimant à minettes qui fait de lui le Don Juan le plus célébré du septième art.
  • Sa maîtrise de la savate et des one liners cyniques (une nouveauté en 1962).
  • Son aspect mauvais garçon qui refuse de jouer selon les règles et se gausse de son impertinence.
  • Son appétence pour les vodka martini, shaken, not stirred, les smokings sur mesure et les belles bagnoles qui en font l’égérie des marques de luxe.
  • Le générique au barrel gun accompagné du thème emblématique de John Barry.
  • Les voyages aux quatre coins du globe qui vantent les paysages exotiques.
  • Les James Bond girls dont la plastique n’a d’égal que l’écervelage.
  • Les méchants larger than life aux caractéristiques physiques singulières et aux repaires peu pratiques.
  • Les personnages récurrents que sont Felix, M et Moneypenny.

Il ne manque plus que la chanson titre, Q, et les gadgets, et la panoplie de l’agent le moins secret du monde est complète


Mais toute cette iconisation, ancrée dans une mentalité inhérente à son époque mais pour autant évitable, se révèle problématique à bien des égards:

  • Les femmes évidemment. Ces objets tout juste bons à tripoter au détour d’une conversation de bureau où l’on qualifie littéralement la secrétaire de “propriété”, dont la touchante sottise fait un bon ressort comique, et dont la naturelle fragilité permet de mettre en avant la puissance du héros, permettent de propulser le spectateur libidineux et frustré dans un fantasme de machoman à la virilité parfaite, à l’apex de la chaîne alimentaire de la séduction. Honey Rider, tout est dans le nom. Vivement Pussy Galore. Honey qui raconte d’ailleurs le viol comme on raconterait une embrouille au boulot, rendant l’acte totalement inconséquent, dénaturé de sa gravité. Un traitement que l’époque n’excuse pas car absent de bien des œuvres antérieures, et qui va perdurer sur des décennies, constituant sans doute le plus gros frein à mon projet de regarder les vingt-cinq films canons.
  • Le colonialisme latent de l’oeuvre qui ne fait des jamaïcains que des faire valoir pas bien futés n’attendant que d’être sauvé par le chevalier blanc, tandis que les personnages supposément asiatiques sont incarnés par des caucasiens affublés d’un yellowface. Même Ursula Andress sera entièrement doublée pour effacer son accent.
  • Une violence décomplexée qui n’est effectivement pas déconnante dans un film d’action, mais qui pousse les potards jusqu’à faire exécuter froidement un homme désarmé à notre "héros", en faisant juste une ordure.

Alors on pourrait certes faire passer la pilule en recontextualisant davantage, mais seulement si le reste du film était solide. Que l’on nous demande d’adhérer à cet univers peu crédible, fait d’espions que tout le monde connaît et d’une mythologie à base d’organisations secrètes aux acronymes risibles (SPECTRE c’est Special Executive for Counter-intelligence, Terrorism, Revenge, and Extortion - sic), c’est une chose. Au diable le réalisme, nous ne sommes pas là pour ça.


Mais l’action et le scénario de Dr No sont bien trop légers pour susciter un intérêt autre que celui de l’archéologie filmique. Aucun personnage n’a de substance, aucune empathie n’est créée, et le scénario ne repose que sur des MacGuffins peu élégants. L'action, elle, est limitée par les contraintes techniques de l'époque et n'aurait pu fonctionner que sur la création d'enjeux. Mais ceux-ci sont donc inexistants. Tout juste peut-on voir dans l’exploration de la fascination d’un nucléaire balbutiant un reflet de ce début de décennie, apanage de la saga qui va toujours raccrocher les wagons avec les préoccupations filmiques et sociales du moment.


Pis encore, il est bien compliqué de regarder cette première aventure de 007 en gardant son sérieux tant l’image de Hubert Bonisseur de La Bath est omniprésente. Bond se recoiffe d’un coup de main en toutes circonstances, se pavane comme un dandy dans tous les lieux qu’il arpente, complètement inconscient des ennemis qui l'entourent, et balance des vannes peu inspirées dont il semble très fier. Il est par ailleurs assez nul dans son boulot, se faisant capturer et sauver par des deus ex machina, se laissant berner par un chauffeur que l’on voit venir immédiatement, et trouvant des pistes au hasard sous les draps de ses conquêtes. Plutôt un heureux veinard qu’un agent hors pair. D’autant plus que ses adversaires, tout aussi branques, ne posent pas de réels obstacles. Assassiner quelqu’un en infiltrant une araignée dans sa chambre revient à espérer pêcher une carpe en faisant urinant dans une piscine. Et mettre quelqu’un dans une geôle en carton pâte à tout de la note d’un professeur optimiste sur le bulletin d’un cancre : “Persévère, tu vas y arriver”. Hazanavicius n'a eu a se pencher bas pour trouver l'inspiration.


Non, hormis sa place en tant que créateur d’une figure majeure du médium, Dr No n’est pas intéressant, pas plaisant, et surtout gênant. De mémoire, ça s’arrangeait un peu sur From Russia with Love, et ça allait beaucoup mieux sur Goldfinger. Pour la suite, l’avenir me le dira.


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le 26 févr. 2025

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Frakkazak

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