En 1952, George Cukor s’attaque à nouveau au sous-genre du "film de mariage" en réalisant « The Marrying Kind », où il donne la vedette à Judy Holliday – déjà dirigée dans « Adam’s Rib – et offrant son premier rôle significatif à Aldo Ray. Drame de chambre, dont la structure est très proche de « La Foule » de Vidor, le film explore les difficultés de la vie de couple au travers d’une série de péripéties.


Le film s’ouvre sur l’entrée d’un tribunal. À l’ordre du jour, le cas Keefer contre Keefer. La juge Carroll, affectée au cas du divorce de Florence et de Chester, décide de les réunir une dernière fois, face-à-face, seuls avec elle. Racontez-moi encore votre histoire, leur demande-t-elle. Les deux époux s’exécutent, et nous découvrons leurs premiers émois amoureux, il y a plusieurs années de cela, par le biais de leurs souvenirs – plus ou moins fidèles.


C’est d’ailleurs une histoire très banale : lui était ouvrier dans une usine, elle travaillait comme secrétaire, et ils s’étaient rencontrés au parc, comme tant de couples. Après une idyllique période de vie commune, les premiers ennuis arrivent, et les tourtereaux ne tardent pas à subir leurs premières disputes conjugales. Le manque d’argent, la situation sociale (typiquement, la sœur qui a fait un beau mariage) et la précarité grandissante du ménage n’aident pas à l’apaisement des relations entre les jeunes mariés.


S’il suit une structure très classique, le film de Cukor se distingue par quelques artifices de mise en scène originaux, ou, à tout le moins, plutôt intéressants. Afin de donner vie aux séquences de récit – particulièrement pénibles autrement – le réalisateur propose de revivre la séquence, avec une voix off se donnant le beau rôle… tranchant nettement avec ce que l’on voit à l’écran. En alternant les passages narrés par Chester et ceux par Florence, l’on obtient tout une partie assez dynamique mâtinée d’un peu d’humour et de légèreté. Ce ton finalement assez badin domine une grande partie du film ; les péripéties des personnages et leurs problèmes portent majoritairement à sourire. Tout au long du métrage, la réalisation est de qualité, culminant avec un passage paroxystique de rêve aussi absurde que délicieux.


On peut constater dans « The Marrying Kind » une grande ressemblance avec « La Foule » de King Vidor. En effet, le thème principal est identique (étudier les problèmes divers d’un couple ordinaire), et les grandes étapes de la vie des mariés semblent héritées du film de 1928 : l’installation dans un appartement misérable, les difficultés financières, le coup d’éclat, les vacances, et la même tragédie. On retrouvera même dans le Cukor une scène d’ukulélé aussi navrante, d’ailleurs punie avec la même sévérité que chez son illustre aîné. À la différence toutefois du film de Vidor, qui laisse la part belle à la ville et à ses dimensions, prenant de la hauteur et démontrant la puissance irrésistible de la fameuse "foule", « The Marrying Kind » s’attache exclusivement à la cellule familiale de Chester et Florence, se déroulant uniquement dans des intérieurs restreints. D’une certaine manière, cela permet de se concentrer davantage sur le sujet, que l’on explore plus exhaustivement.


Evidemment, dans ce genre de "film de chambre", la qualité du jeu des acteurs est d’une importance cruciale à la réussite de l’ensemble. Ici, le bilan est assez mitigé. D’un côté, Judy Holliday et Aldo Ray dépeignent parfaitement l’archétype du couple ouvrier. Ah, ça, c’est sûr… De l’autre, ils ne sont du coup, ni très subtils, ni très raffinés, et supporter la gouaille d’Holliday et sa voix de crécelle à longueur de film s’avère éprouvant. Aldo Ray n’est pas en reste, et son Chester se montre parfois assez imbuvable. Cela dit, l’on finit par s’attacher à ces deux êtres, un peu losers, un peu crétins, mais, qui, malgré tout, font face. La vie ne les a pas gâtés – et ne leur fait pas de cadeau – mais, finalement, ils avancent tant bien que mal. En cela, le film de Cukor est assez tendre, traitant ce couple avec une authentique compassion.


« The Marrying Kind » constitue presqu’un cas d’école, un exposé du genre du film de mariage dans le cinéma américain, où les deux amoureux affrontent toutes les difficultés classiques : manque d’argent, comparaison avec la belle famille, perte dramatique. L’œuvre de Cukor n’a clairement pas la dimension monumentale de « La Foule », avec lequel il partage une parenté certaine, mais réussit assez bien à nous intéresser au quotidien laborieux d’un ménage ordinaire. Et, au final, l’on en vient à ne leur souhaiter que l’happy end qu’ils méritent.

Aramis
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Films vus en 2015 et Coursera : "Le mariage et les films : une histoire"

Créée

le 12 janv. 2016

Critique lue 506 fois

2 j'aime

Aramis

Écrit par

Critique lue 506 fois

2

D'autres avis sur Je retourne chez maman

Je retourne chez maman
Corsicanna
6

Cas de divorce ou de mariage ?

Un peu des deux, ce qui est intéressant dans ce film c'est donc à la base un couple qui va divorcer. Avant de prononcer le divorce, la juge demande au couple de se remémorer leur histoire. On entends...

le 1 déc. 2018

Du même critique

Shanghaï Express
Aramis
7

Docteur H. et les Femmes

En 1931, Josef von Sternberg retrouve Marlene Dietrich pour un quatrième film, « Shanghai Express ». L’histoire est située en Chine, et, plus précisément, dans le train éponyme qui relie les villes...

le 16 avr. 2015

19 j'aime

9

Thelma et Louise
Aramis
10

The girls the authorities came to blame

Le 24 mai 2016, à l’occasion des vingt-cinq ans du film, j’ai vu, pour la troisième fois, « Thelma et Louise ». Deux heures après, pour la troisième fois, le film s’achevait et me laissait le cœur...

le 5 juin 2016

19 j'aime

4

La Comtesse aux pieds nus
Aramis
5

Le conte de l'ennui

En 1954, Joseph L. Mankiewicz réunit deux monstres sacrés du 7e art : Humphrey Bogart et la belle Ava Gardner – qui lui est "prêtée" à prix d’or par la MGM – pour son film « La Comtesse aux pieds nus...

le 6 avr. 2015

18 j'aime

9