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Construisant une filmographie attachée à l’exploration des dérèglements de l’esprit humain, Chan-Wook Park s’intéresse ici à la douce folie qui s’empare d’êtres différents, à l’imaginaire totalement débridé d’esprits inadaptés à la rigueur de nos sociétés. Je suis un Cyborg est une plongée au cœur de l’hôpital psychiatrique en compagnie de personnages faibles mais attachants,



un voyage tendre et comique dans les points de vue poétiques de réalités à part.



Le détour par la comédie n’empêche pas le réalisateur coréen de continuer de construire une œuvre singulière au maniérisme graphique essentiel, et c’est ici à travers le prisme déformant des déviances incertaines du rêve que l’auteur s’amuse à perdre le spectateur dans une trouble fascination narrative.


Dès la première séquence, dès le premier plan même, plongée vertigineuse dans l’usine sur une ligne d’assemblage électronique, ouvrières en tenues rouges qui travaillent en rythme dans une ambiance froide d’oubli mécanique, Chan-Wook Park rappelle son attachement profond à la puissance graphique dans un tableau chromatique aux contrastes francs, et extirpe son personnage principal de la masse soumise : Young-Goon ne suit pas le rythme commun mais se laisse guider par une voix qui descend du plafond, qui bientôt l’invite à de trancher les veines pour y enfouir deux fils d’alimentation électrique avant de se brancher à la prise murale. Parallèlement, la mère de cette jeune fille raconte à la psychiatre qui s’apprête à l’accueillir, la normalité de sa fille, portant élevée par sa propre mère, légèrement perturbée.


En installant alors sa narration dans les couloirs et les salles communes d’un hôpital psychiatrique, Chan-Wook Park ne peut éviter de faire écho à One Flew Over a Cuckoo’s Nest, de Milos Forman. Mais dans les règles établies, l’auteur, très vite, déroule son propre univers : décors pastels doux pour contenir la violence de l’enfermement, détails humoristiques pour faire vivre l’arrière-plan, le contexte, anecdotes légendaires pour définir le décalage profond des personnages à la réalité. Le ton se veut léger mais le propos reste pesant : isolement, folies asociales, séances d’électrochocs et confinement en caisson sécurisé. Young-Goon est persuadée de n’être pas humaine mais d’être une machine, un cyborg. Par peur d’enrayer le bon fonctionnement de ses circuits internes, la jeune femme refuse de se nourrir, préférant tenter de recharger ses accus aux pôles de piles électriques de trop faibles voltages.


Préoccupé par les interactions extraordinaires qui relient les âmes ordinaires, le réalisateur narre



une romance incertaine,



l’apprivoisement mutuel de Young-Goon et d’Il-Sun, en cherchant la collusion douce de deux univers identitaires qui ne se reconnaissent pas. Il faudra l’acceptation tardive, la lente assimilation par Il-Sun des impératifs de Young-Goon pour que l’étincelle embrase leur lien, les rapproche. Pour qu’ils s’acceptent enfin et entrevoient un chemin commun. Il faudra



des envolées poétiques



à dos de coccinelle autant que des tueries délirantes, les doigts automatiques, pour que la jeune cyborg psychotique s’émancipe, se libère des préjugés collectifs et s’accepte telle qu’elle est.
Différente.


Jouant constamment de la difficile appréciation du rêve et de la réalité, le réalisateur coréen esquisse un portrait des carcans sociétaux imposés par le rendement et le dévouement au système consumériste, qui implose en d’innombrables déflagrations au cœur des hommes, souvent insignifiantes et surmontées dans l’instant, parfois irréversiblement subversives. Dans les petits dérèglements humains qui s’accumulent à l’esprit éreinté, Chan-Wook Park pousse plus avant son



étude des petites mécaniques dysfonctionnelles de l’âme,



petite musique de l’ironie sur un thème proche des compositions de Yann Tiersen pour Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, et raconte l’existentialisme qui façonne chacun, les errances et les assimilations parfois fallacieuses qui construisent l’intime de chacun. Et dans les libertés graphiques et les recherches esthétiques, l’auteur insiste encore sur l’impossible conversation des hommes qui jamais alors ne peuvent être en phase, qui ne peuvent s’entendre. La complicité ultime du couple à l’écran ne dit pas autre chose : sans totalement se comprendre l’un l’autre, les deux personnages s’acceptent, s’accompagnent, se comprennent presque.
Mais ne pénètrent jamais réellement le monde de l’autre.


Entre Milos Forman et Michel Gondry, petits bouts insignifiants de ficelle qui s’oxydent dans l’enfermement, Je Suis un Cyborg, s’il n’a pas la percussion violente et corrosive de l’animal qui surgit de sous la peau, reste un film parfaitement intégré au travail de Chan-Wook Park : étude des mécaniques humaines, auscultation graphique des dérèglements pour raconter la fragilité constante, inévitable, des âmes pensantes que nous sommes. L’auteur n’a de cesse de répéter combien la vanité de nos positions naturelles ne dure jamais face aux faiblesses qui viennent révéler, à chaque instant, notre condition primale. Saillies d’incommunicabilité, tentatives désespérées et vaines de préservation individuelle, le cinéma de Chan-Wook Park met en lumière



la fragilité imprévisible de l’homme.



La comédie romantique en question n’échappe pas à cette règle quand elle nous dit combien le rêve en est un élément primordial, combien il est important de savoir s’échapper du quotidien pour ne pas y sombrer.


Je Suis un Cyborg n’est pas le film le plus impressionnant de l’auteur mais sa poésie y prend une dimension particulière, emprisonne l’œil et l’attention dans un voyage onirique aux accents de magie douce et de séduisante folie pour conter



les différences existentielles qui font la richesse infinie du monde autant que ses inévitables menaces.



Ce dérèglement personnel de chacun qui fait le monde dans un regard, dans un point de vue unique. Toujours.
Qui enrichit autant qu’il esseule.

Créée

le 1 févr. 2017

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