J'ai toujours eu une grande tendresse pour Jean Rollin et son cinéma, pas de l'admiration non mais une forme étrange d'empathie un peu bizarre pour ce réalisateur qui aura presque par hasard mais avec passion consacré sa vie au cinéma de genre en tournant comme un artisan une vingtaine de films (Hors films X) en quarante ans. Une carrière atypique dans le cinéma français pour un univers entre la poésie surréaliste et la série Z mais teinté d'une éternelle et étrange obsession onirique et morbide.


J'attendais donc beaucoup de ce documentaire Jean Rollin Le Rêveur Égaré de Damien Dupont et Yves Pierre Kaiser qui revient sur la vie et l'univers du réalisateur disparu en 2010.


Ce court documentaire de moins de 80 minutes revient donc sur la carrière de Jean Rollin en lui donnant largement la parole tout en enrichissant son propos avec divers intervenants comme Brigitte Lahaie , Ovidie, Philippe Druillet ou Nathalie Perrey. Le film donne aussi la parole à divers critiques et personnalités sans doute proche de Jean Rollin mais assez obscures pour le grand public. Jean Rollin Le Rêveur Égaré est un film qui me laisse un sentiment assez partagé, car si il célèbre ce cinéaste à part et qu'il offre son lot de précieuses informations et anecdotes il est aussi bizarrement construit, visuellement pauvre et légèrement complaisant dans une forme de glorification peut être un poil excessive du bonhomme. Il est certain que Jean Rollin n'est pas qu'un vulgaire faiseur de série Z et que l'homme possède les obsession, l'univers et la poésie propre à un véritable auteur, mais la célébration du poète maudit ne doit pas faire oublier que ses films sont aussi souvent délicieusement mauvais. En même temps le cinéma de Jean Rollin a toujours eu cet ambivalence qui fait que l'on peut tout autant s'y retrouver que s'y perdre complètement. Trop bis, trop amateur et trop ancré dans le fantastique pour être reconnu par les intellectuels cinéphiles respectables et trop intello et pompeux pour être vraiment célébrer par les amateurs de Z et de cinéma de genre, Jean Rollin semble à jamais rester perdu sur cette frontière d’incompréhension permanente. Pour moi le film martèle un peu trop cette image de poète maudit et de grand réalisateur incompris en s'attardant beaucoup sur les premiers films expérimentaux de sa carrière et zappant beaucoup trop vite sur ses œuvres plus ouvertement bis voir Z comme Les Démoniaques, Les Raisins de la mort ou le fantastique nanar Le Lac des Morts Vivants qu'il tourne au pied levé pour remplacer Jess Franco. Et puisque Jean Rollin est un cinéaste souvent moqué et vindicativement critiqué pourquoi ne pas avoir aussi donné la parole à des intervenants plus nuancés voir hostiles pour justement embrasser toute la diversité des regards possible sur une œuvre qui de par sa radicalité ne laisse jamais indifférente.


Le film reste heureusement une mine d'informations concernant Jean Rollin comme sur ce tout premier film inachevé puis perdu à jamais mais qui aurait pu conduire le réalisateur sur un tout autre chemin cinématographique. Le réalisateur apparaît d'ailleurs très ému quand il explique sa déception lorsqu'il a voulu récupérer les négatif de son film pour l'achever trente ans plus tard avant d’apprendre qu'ils avaient été brûlé par erreur. On découvre aussi que lors de sa période alimentaire à tourner des films X il laissait presque toujours à son cameraman le soin de tourner les scènes de sexe explicite en se barrant du plateau. On apprend par ailleurs qu'il reste l'un des seuls réalisateurs de films X à avoir tenu sa promesse faites à Brigitte Lahaie de la faire tourner plus tard dans un film traditionnelle même si c'était pour la faire tourner à poil en extérieur par moins vingt degrés. L'univers des tournages de Jean Rollin est lui aussi un peu mis à jour notamment sa direction d'acteur très particulière qui consiste uniquement à expliquer le personnage, la scène puis laisser ensuite les choses se faire avec un minimum de prises. Même si l'absence d'images de tournages d'époque manque cruellement on comprend un peu comment Jean Rollin fonctionnait sur un plateau. Le film évoque aussi longuement La Nuit des Horloges, son film testament qu'il mettra presque 4 ans à tourner au grès de ses rentrées épisodiques d'argent, des désistements d'acteurs et d'actrices et de sa maladie. C'est dans cette volonté de faire du cinéma et de donner vie à ses rêves et cela peu importe le budget, peu importe sa propre santé, peu importe les critiques, peu importe le talent que Jean Rollin est un cinéaste à part et très attachant à mes yeux.


Pour moi qui aime plus que tout les maladresses du réalisateur, les aspects les plus Z de son cinéma, la poésie involontaire de ses errances j'aurai adoré que le documentaire de Damien Dupont et Yves Pierre Kaiser aborde aussi quelques aspects plus léger et amusant des films de Jean Rollin. A écouter les intervenants il semble presque inapproprié et inconvenant de voir les aspects les plus ludiques et Z du cinéma de Jean Rollin comme si la naïveté maladroite devait définitivement s’effacer sous la figure imposante de l'artiste incompris. Si je comprends que l'on puisse adorer Jean Rollin en intellectualisant sa démarche et sa filmographie, il manque franchement à ce documentaire un regard plus décalé, plus léger, plus drôle, car les films de Jean Rollin ne sont pas fait uniquement pour se prendre la tête à deux mains en se torturant le cortex sur les obsessions de l'artiste mais qui peuvent être aussi amusant à regarder avec un regard (non pas moqueur) mais amoureusement décalé. Je regrette aussi que le documentaire ne s'attarde pas plus longtemps sur un film comme La Nuit des Traqués qui reste pour moi l'un des meilleurs films de son réalisateur. Formellement le film est aussi assez décevant ne faisant pas le moindre effort de mise en scène pour filmer les différentes interviews qui ressemblent bien plus à de pauvres entretiens pour France 3 Auvergne shooté au caméscope qu'à un vraie film avec un minimum d'ambitions.


Jean Rollin le Rêveur Égaré est donc une petite mais réelle déception, le film assez platement construit se prend sans doute un peu trop au sérieux dans son entreprise de réhabilitation d'un cinéaste maudit de tous en oubliant que l'on a aussi le droit d'aimer le réalisateur pour le pur amour du cinéma bis bricolé, artisanal et maladroit. Je ne sais pas si une grande réhabilitation intellectuelle et les éloges de la cinémathèque me feront aimer plus encore Jean Rollin ? Moi Jean Rollin je l'aime pour ses femmes à poil et vaporeuses, pour ses vampires aux crocs en plastique, pour ses effets spéciaux ratés , pour ses chauves souris en carton, pour ses dialogues ampoulés et ses comédiens très approximatifs, pour sa poésie macabre et surréaliste et son amour des cimetières, pour la maladresse bancale des ses mises en scènes parfois un peu chiante, pour ses histoires obscures et pour avoir consacré sa vie entière au cinéma que j'aime sans pour autant avoir jamais réussi à faire un film que j'adore.

freddyK
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Seul Au Monde (Ou Presque), 2020 : Films vus et/ou revus et Documentaires Bis/Z/X/Pop Culture

Créée

le 18 nov. 2020

Critique lue 127 fois

3 j'aime

5 commentaires

Freddy K

Écrit par

Critique lue 127 fois

3
5

D'autres avis sur Jean Rollin, le rêveur égaré

Du même critique

Orelsan : Montre jamais ça à personne
freddyK
8

La Folie des Glandeurs

Depuis longtemps, comme un pari un peu fou sur un avenir improbable et incertain , Clément filme de manière compulsive et admirative son frère Aurélien et ses potes. Au tout début du commencement,...

le 16 oct. 2021

75 j'aime

5

La Flamme
freddyK
4

Le Bachelourd

Nouvelle série création pseudo-originale de Canal + alors qu'elle est l'adaptation (remake) de la série américaine Burning Love, La Flamme a donc déboulé sur nos petits écrans boosté par une campagne...

le 28 oct. 2020

53 j'aime

5

La Meilleure version de moi-même
freddyK
7

Le Rire Malade

J'attendais énormément de La Meilleure Version de Moi-Même première série écrite, réalisée et interprétée par Blanche Gardin. Une attente d'autant plus forte que la comédienne semblait vouloir se...

le 6 déc. 2021

44 j'aime

1