Jeanne Dielman, 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles. Le titre sonne comme un fait froid, anodin, d'une banalité affligeante : un nom et une adresse. Dès ce titre "modeste", toute la programmatique est en place : sous l'apparence de la banalité, se creuse en réalité un sillon implacable, tant par la forme que par le fond.
D'un aspect quasi-documentaire, ce film très impressionnant avance lentement mais sûrement vers un dénouement qu'on suppose très vite tragique. Plans-fixes tout du long, dialogues réduits au stric minimum, tout est épuré. Rare sont les films qui ont autant donné un sens à leur cadre.
A cette radicalité extrême de la forme répond la brutalité du fond : on nous montre le quotidien d'une ménagère. Elle vaque à des occupations peu excitantes : elle épluche des pommes de terres, cire des chaussures, prépare la soupe ou du café... Tout cela suinte un ennui profond... A priori seulement.
Car Chantal Akerman prend le parti de montrer, dès les premières secondes de film, que cette ménagère fait des passes. En agissant de la sorte, Akerman suscite une tension palpable et qui va crescendo, tout au long du film. Jeanne Dielman avance inéxorablement vers son destin rendu misérable par le quotidien.
A ce titre, la longueur exceptionnelle du film se révèle justifiée et même essentielle. Akerman étire à loisir la durée, l’ennui, le ressassement, la répétition des tâches ménagères... et le danger que l'on sent sourdre.
Le spectateur étouffe, prisonnier de la bulle infernale dans laquelle évolue Jeanne. Le temps est dilatté, un temps quotidien de la répétition, qui devient lui même les barreaux de la prison dans laquelle se trouve Jeanne.
C'est ce temps qui rend la quotidien aliénant.
Enfin, il faut rappeler que ce film, d’une vérité impitoyable, est aussi un documentaire sur une grande actrice : ce que donne Delphine Seyrig à son personnage et au film est indescriptible, absolu et d’une justesse terrifiante.
KanedaShotaro
10

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le 29 avr. 2013

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