Dans ce cinéma de la solitude, la silhouette de Jeanne, comme une héroïne d’un tableau de Hopper, hante son spectateur.

Trois jours dans la vie de Jeanne, cette mère au foyer, prostituée de jour et de chambre à coucher parentale, aliénée du réveil au coucher. Dans ce ballet millimétrés de gestes, elle semble agir par automatisme, comme une ouvrière à sa tâche. L’appartement devient une usine où les bruits des machines sont remplacés par le son des talons, des assiettes que l’on lave, du vrombissement sourd du réfrigérateur. Les bruits métalliques et froid du travail domestique contraste avec la décoration intérieure désuète et baroque. Les plans sont fixes, longs. Le temps passe et les rituels s’installent. 

Pour Jeanne, pas de grève, pas de revendications. Comment dire « non » quand on est seule ? 

Une mauvaise cuisson des pommes de terre, et c’est le rouage complet de la chaîne de production qui s’ébranle. A moins que se ne soit quelque chose de beaucoup plus insidieux : le plaisir. 

Toute sa vie semble marquée par le rejet du plaisir. Rejet qu’elle impose à son fils autant qu’à elle même, créant chez ce dernier une souffrance ( face au silence de sa mère sur les questions sexuelles et affectives ). Indifférence à son mari, au sexe, à la nourriture, Jeanne semble vivre une vie d’ascète. Une des manifestations du changement interne opérant peut être vu par la découverte de son goût propre. La scène où elle jette et refait puis jette à nouveau son café au lait peut être vu sous ce prisme. Ici Jeanne ne « déraille » pas mais réalise brutalement qu’elle n’aime finalement pas le café au lait. D’ailleurs dans la scène de la brasserie ( où elle vient chaque jour ), elle ne boira pas le café qu’elle commande habituellement mais se contentera de prendre le chocolat pour son fils et de régler. De la même manière, quand sa voisine lui dépose le bébé qu’elle garde quelques dizaines de minutes quotidiennement, en ne lui accordant d’habitude aucune importance, elle va cette fois le porter dans ses bras ( déclenchant cris et larmes chez le nourrisson ) pour son propre plaisir. La scène de sexe, premier plan proche du visage du film, sera le climax de cette (re)découverte du plaisir. Si dans un premier temps elle rejète son client, c’est qu’elle prends du plaisir dans l’acte sexuel. Et c’est cette extase, qui justement, la poussera au meurtre.

Cet acte est il un acte de rébellion ultime face à sa vie, face à elle même, face au monde ou un dernier plaisir avant le passage de sa maison-prison à la prison étatique ? 

Alice-Rimsky
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le 28 avr. 2023

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Alice Rimsky

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