En ces temps complexes où l’urgence souvent bien violente de l’actualité vient s’immiscer dans des œuvres supposément intemporelles, il faut faire abstraction de bien des éléments pour tenter d’appréhender sereinement le nouveau film de Maïwenn. Il ne s’agit pas seulement de séparer les individus des artistes, puisque l’œuvre elle-même (souvenez vous du naufrage ADN) peut s’avérer un rempart à l’affrontement d’une nouvelle proposition…


Avec Jeanne du Barry, la cinéaste a le mérite de s’essayer à un changement plutôt radical : le film en costume l’incite à modifier sa direction d’acteurs au profit d’un texte plus figé, les plans sont plus larges et le rythme moins saccadé que sur ses précédents films. On voit bien, dès le prologue, le désir de rivaliser avec l’indépassable Barry Lyndon, notamment dans l’emploi du 35mm et le recours à une voix off volontiers affectée et littéraire, à ceci près que Maïwenn y substitue le sarcasme par une tonalité plus proche du conte, en adéquation avec le regard que pose sa protagoniste sur le monde qu’elle va découvrir.


C’est cette approche, en léger décalage, qui sera la plus intéressante, quand bien même elle peut s’avérer bancale. L’appréhension du monde par Jeanne oscille entre l’euphorie d’une petite fille (jusqu’aux glissades dans la galerie des glaces) et le rire amusé de celle à qui on ne va pas la faire. Soit, précisément celui que Maïwenn entreprend d’avoir sur son récit, midinette et lucide à la fois.


La midinette ne nous épargnera aucun des attendus de la grande romance entre la fille des rues et le monarque, à renfort de musique pompière, de larmes et de regards pénétrants. Elle cède aussi à la tentation de faire de sa protagoniste une héroïne irréprochable, forçant à plusieurs reprises le spectateur à admirer sa sagacité, son indépendance, sa culture et son altruisme pour les enfants des autres, jusqu’à ces scènes assez incongrues nous expliquant, probablement avec quelques siècles d’avance, que les noirs sont des êtres humains.


La lucide va faire braquer sur Versailles le regard d’une femme du peuple : à travers un miroir sans tain ou une longue vue, Jeanne voit se déployer un protocole ridicule dont elle s’amuse, entrainant à sa suite le Roi, voire le premier valet de chambre (savoureux Benjamin Lavernhe), et déchainant chez les filles de son amant une comédie où le grotesque des accoutrements le dispute aux simagrées des sarcasmes.


Ce n’est certes pas une victoire très glorieuse, mais on ne cesse de se dire que ça aurait pu être tellement pire. Maïwenn s’est clairement posé des barrières, et fait du sujet la finalité première. L’ego trip n’est certes jamais bien loin, et on devine les fantasmes d’autoportrait de la cinéaste en femme libre, partie de rien (« Les filles de rien ne sont-elles pas prêtes à tout ? ») pour arriver au sommet en laissant une profonde influence dans son sillage avant la disgrâce faisant d’elle une héroïne sublime.


Alors que vient de sortir une nouvelle version des Trois mousquetaires, ce retour à un film en costumes, avec la volonté de se confronter à une forme de classicisme a quelque chose de touchant, et la réalisatrice a le mérite de ne pas (trop) vouloir y injecter les réécritures contemporaines, qui bien souvent vieillissent plus vite que l’époque revisitée. Et quand on constate que les scories de son film sont plutôt issues d’une excès de sincérité que d’une pose cynique, on veut bien appliquer la leçon un peu scolaire de tolérance que son récit nous dispense.


Sergent_Pepper
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Rumeurs Cannes 2023, Vu en 2023, Vu en salle 2023 et Cannes 2023

Créée

le 17 mai 2023

Critique lue 4.4K fois

83 j'aime

8 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 4.4K fois

83
8

D'autres avis sur Jeanne du Barry

Jeanne du Barry
Plume231
3

La Foire d'une vanité !

Quand j'avais appris sur Internet, à propos du biopic, critiqué ici (pardon, défoncé ici !), sur Jeanne du Barry, que Maïwenn allait diriger Johnny Depp pour incarner, en français, le rôle du...

le 17 mai 2023

80 j'aime

26

Jeanne du Barry
antoinegrivel
2

Il y a Maïwenn qui joue dans ce film historique de Maïwenn sur Maïwenn

Pourquoi ? Pourquoi réaliser un biopic sur la du Barry en 2023, et le montrer en ouverture du Festival de Cannes ? La réponse évidente à la seconde question est qu'au moins, il n'est pas en sélection...

le 17 mai 2023

51 j'aime

2

Jeanne du Barry
Fleming
6

Du mauvais, du bon et une cerise sur le gâteau

Je commence par le mauvais, par ce que je n'ai pas aimé :- Le scénario n'est pas assez travaillé ; le sujet, intéressant en lui-même, n'est qu'effleuré -(imaginons ce que Kubrick aurait fait de la...

le 5 juin 2023

21 j'aime

15

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

765 j'aime

104

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

700 j'aime

49

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

615 j'aime

53