Succès surprise de l'année 2001, produit par Francis Ford Coppola et sorti le même mois que l'effondrement des deux tours, Jeepers Creepers s'imposait alors comme une authentique réussite du cinéma horrifique. Réalisé par le méconnu Victor Salva, déjà réalisateur de Clownhouse, Bad Company et Powder, le film suit le périple routier de deux étudiants, frangin et frangine, profitant des vacances estivales pour rejoindre leurs parents. Alors qu'ils font route à travers la campagne isolée, ils remarquent un fourgon sinistre garé dans un champ, le même qui avait embouti l'arrière de leur voiture quelques kilomètres plus tôt. Ils aperçoivent alors son chauffeur, un homme à l'aspect inquiétant, en train de jeter dans une canalisation ce qui semble être un cadavre. Intrigués, les deux jeunes attendent que l'homme reparte pour aller voir ce qu'il y a caché. Ce qu'ils trouvent, au fond d'une cave sordide, en dit alors suffisamment long sur la dangerosité de l'inconnu.


A partir d'un postulat minimaliste au possible, le scénario de Jeepers Creepers déroule une intrigue se révélant à l'image de son antagoniste : en constante évolution. Loin de se complaire à livrer un énième boogeyman masqué de slasher, le réalisateur et scénariste imagine une créature totalement originale au look hybride (comme les mutants de Mimic) et dont les motivations, tout autant que la nature, demeureront indéterminées. Tout juste nous sera-t-il révélé au détour de quelques dialogues que la bête (qui n'a d'ailleurs pas de nom dans le film) se réveille tous les vingt-trois ans pour se repaître de chairs fraîches sans préciser réellement de quelle façon (quel peut-être son mode de prédation ?). Cette ambiguïté des motivations de la créature participe à instaurer une réelle tension anxiogène tout au long de cette course-poursuite effrénée, d'autant que le monstre paraît de prime abord invulnérable et que son évolution morphologique semble aller de paire avec sa détermination vorace.


Face à la menace représentée par leur poursuivant, la relation fraternelle entre les deux jeunes protagonistes tend à se resserrer inextricablement pour aboutir à cet épilogue étonnant qui, outre son aspect purement dramatique, tend à ériger le creeper en une sorte d'icône horrifique, hyper-sexualisée et foncièrement déviante, dont on s'interroge longtemps sur la nature de l'appétit (il faut voir comme il flaire de très près les vêtements de ses proies pour choisir sa future victime) et sur ses goûts musicaux en matière de musique jazzy (le morceau enjoué Jeepers Creepers de Jack Teagarden et Johnny Mercer, écouté en boucle par le monstre, contrebalance à merveille l'ambiance sordide du métrage). Les deux séquelles, bien moins réussies que ce premier opus, apporteront à peine plus de réponses.


Il convient surtout de revenir sur le passé criminel du réalisateur, Victor Salva, pour tenter de s'expliquer cette sexualisation malsaine du creeper. Reconnu coupable d'attouchements sexuels sur un jeune interprète de Clownhouse, le cinéaste aura été contraint de mettre plusieurs fois en stand-by sa carrière (notamment pour purger une peine de prison de quinze mois). Ayant plaidé coupable lors de son procès, Salva a révélé plus tard que Jeepers Creepers avait été pour lui l'occasion d'exorciser ses démons en inventant la figure dérangeante et sexuellement malsaine du creeper. Tout aussi réussi soit-il, son film peut ainsi difficilement s'apprécier quand on connait le passif pédophile de son réalisateur. Il s'agit alors soit de considérer Jeepers Creepers pour ce qu'il est, un très bon survival horrifique, soit de le condamner purement et simplement pour ce que représente Salva. Un sujet qui n'est pas loin de rejoindre la polémique ayant animé la dernière cérémonie des césars au sujet de Roman Polanski et qui démontre toujours la difficulté morale de distinguer la qualité d'une oeuvre du passif dégueulasse de son auteur.

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le 28 oct. 2020

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Buddy_Noone

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