La « direction de spectateurs » de Hitchcock produit toujours des œuvres sciemment élaborée mais parfois naïve et superficielle. Les codes qui régissent La main au collet par exemple, maintes fois employés dans le cinéma hitchcockien, s’avèrent désuets et infructueux.
Pour Jeune et innocent, Hitchcock, de son propre aveu, est encore en pleine expérimentation de ses procédés de montage et de syntaxe cinématographique. Un homme est accusé d’un meurtre qu’il n’a pas commis, leit motiv prétexté pour élaborer un système de suspense qui saura «maintenir en haleine» le spectateur. Cet homme essaie donc de prouver son innocence. C’est le moteur clé d’Hitchcock qui permet de justifier toute sa démarche spectaculaire. L’efficacité du découpage hitchcockien tient au fait qu’il ne sur-esthétise jamais ses plans, se concentrant sur l’interaction du plan plutôt que sur sa beauté photogénique. Les cadres se répondent, faisant acte de la maîtrise du montage et de la fonction des images. L’intrigue et son dévoilement cinématographique sont construits de telle façon que le spectateur ne peut que s’inquiéter sur l’issue de l’enquête.
Le cinéma relève totalement d’un enjeu spectaculaire. D’ailleurs ce n’est pas tant le dénouement de l’enquête que l’expérience du suspense qui importe. Adjoint par une héroïne naïve, le pseudo-tueur doit s’inculper. Sa quête sera finalement déléguée à cette même jeune fille et à un clochard, seul témoin capable d’identifier le véritable tueur. L’apparition reconnue du tueur à l’écran donne notamment droit à un plan d’une virtuosité inouïe, passant d’un plan d’ensemble à un gros plan exemplaire de la fameuse «direction de spectateurs» d’Hitchcock. La culpabilité toute kafkaïenne qui régit le personnage masculin trouve son application dans la mise en forme du film, de telle façon que Jeune et innocent, sous les aspects d’un film britannique mineur, contient les prémisses du grand Hitchcock américain.