Une figure de style parmi d’autres pour appréhender, déplier et comprendre le film : le jump-cut.
Le jump-cut, c’est une manière de rompre la continuité d’un plan : quelques images manquent à l’intérieur d’une scène, on saute d’une image à une autre. C’était donc un effet de montage prohibé au temps d’un cinéma où le montage et la mise en scène doit s’effacer derrière l’histoire.
Puis Godard et tous les autres sont passés par là et l’effet s’est depuis banalisé, quitte à le vider de sa force et de son sens.


Revenons à nos montons : ce film utilise le jump-cut. A deux moments, il en abuse presque : au tout début du film, lorsque Paula fait sa crise de nerf ; et plus tard, lors de son entretien d’embauche, il y en a des dizaines.
Ces sautes de montage se multiplient, quelques secondes ou quelques minutes (on ne sait pas) sont éludées, et résultat : impossible de mesurer la durée de l’action. Cela est perturbant, ou au moins un peu inconfortable, et c’est très bien, voilà le spectateur plongé dans la perception d’un personnage dérangé, qui saute d’une émotion à une autre, d’une pensée à une autre, d’un moment à un autre. On peut trouver Paula agaçante, touchante, stupide ou bien romanesque, ou un peu tout ça, le spectateur partage (au minimum, l’accompagne – a de l’empathie ; voire vit avec elle – a de la sympathie) ses émotions.


Car c’est de cela dont il s’agit : accompagner une « jeune femme » excentrique, à un moment de sa vie où elle est mise à l’épreuve. Une vie pas si anormale, où l’on deal avec ses amours déçues, sa relation difficile avec sa mère, des petits boulots précaires, sa peur de n’être pas grand-chose.


Et pour nous faire partager ce vaste programme, le jump-cut (entre autres outils, bien sûr), dont l’usage incarne donc pour moi la réussite du film : une forme innovante mais maîtrisée et qui a du sens, sans bouleverser l’histoire du cinéma, au service d’une idée claire et d’une histoire simple.
Un film de bons scénaristes, qui aiment raconter des histoires, et trouver la meilleure manière de les raconter.


Et ce n’est qu’un premier film, vivement la suite !

TomCluzeau
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le 5 nov. 2017

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Tom Cluzeau

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