Qui est le film ?
Jeunes mères s’inscrit dans la filmographie des frères Dardenne comme une petite tentative de bifurcation : après avoir longtemps concentré leur cinéma sur l’individu en crise (Rosetta, L’Enfant, Le Fils) ils déplacent cette fois leur regard vers un collectif, une maison maternelle liégeoise où cinq adolescentes affrontent la maternité. Le film promet donc un élargissement de leur dispositif, passant du récit resserré au portrait choral, et revendique d’aborder de front une réalité sociale rarement représentée : le quotidien de très jeunes mères, entre fragilité, déterminisme et désir d’émancipation.
Que cherche-t-il à dire ?
L’ambition affichée est claire : montrer comment ces adolescentes, chacune avec son histoire et ses blessures, tentent de concilier responsabilité et survie. En surface, le projet est louable, nécessaire, tant le cinéma a tendance à marginaliser ces figures. Mais derrière l’intention, une tension se dessine : comment continuer à filmer « le réel » quand la volonté d’universalité pousse les Dardenne vers l’artifice, la simplification ou la moralisation implicite ?
Par quels moyens ?
Le choix d’une structure éclatée, découpée en cinq trajectoires, fonctionne moins comme une polyphonie qu’un catalogue. Chaque adolescente porte un archétype (la toxicomane en rémission, la migrante isolée, celle qui cherche sa mère biologique…) et cette typologie semble dicter les dialogues plus qu’elle n’émerge des situations. Les scènes s’ouvrent souvent sur des répliques explicatives, comme si le film craignait de perdre le spectateur. Ce didactisme, étranger à l’économie habituelle des Dardenne, mine l’immersion.
Les jeunes femmes s’expriment avec une langue standardisée, dénuée de l’oralité adolescente et des inflexions sociales. L’effet est troublant : on entend les scénaristes plutôt que les personnages. Là où un Dolan fait du parler québécois une texture, où un Loach s’appuie sur le cockney pour ancrer le récit, les Dardenne gomment l’accent et polissent les voix. Ce choix, sans doute destiné à élargir le marché, prive le film d’une vérité sonore pourtant au cœur de leur cinéma depuis La Promesse.
La caméra, fidèle à la grammaire des Dardenne, continue de chercher la proximité physique. Mais ce dispositif, autrefois garant d’une frontalité éthique, sonne ici comme une signature vidée de nécessité. L’attention portée aux gestes du soin (nourrir, baigner, endormir) pourrait révéler la charge politique de l’intime, mais se réduit trop souvent à une illustration sage.
La maison maternelle est filmée comme un lieu protecteur, presque idyllique, alors même que sa fragilité structurelle est évidente. Les éducatrices apparaissent comme des figures de soutien infaillibles, réduites à leur fonction bienveillante. Ce cadrage neutralise toute ambivalence : l’institution, au lieu d’être interrogée dans ses contradictions, est sanctifiée, comme si elle absorbait toute conflictualité.
Où me situer ?
Je ne crois pas à ce film. Non parce que le sujet manquerait d’importance, mais parce que la mise en forme trahit ce qu’il prétend observer. Je reconnais le courage de vouloir déplacer leur cinéma vers d’autres corps, d’autres voix, mais ce déplacement échoue : le collectif est réduit à des figures schématiques, le réalisme est affaibli par une langue trop propre et de ma récitation, et l’optimisme affiché sonne comme une concession.
Quelle lecture en tirer ?
Jeunes mères révèle, malgré lui, le paradoxe d’un cinéma social qui craint de choquer. Les Dardenne, en adoucissant leur geste, montrent à quel point leur radicalité était constitutive de leur force. Ici, tout se joue en surface : un décor d’institution, des figures de jeunes mères, une bienveillance diffuse. Il reste l’impression d’un film utile par son sujet, mais inutile par sa forme. Au sortir de la projection, je n’ai pas le sentiment d’avoir rencontré des vies, mais d’avoir feuilleté un dossier pédagogique. Et c’est bien ce qui me fait juger ce film, non pas raté par maladresse, mais raté par choix.