Très bon documentaire qui retrace les méandres d'un projet avorté, mais qui a quand même eu un impact considérable sur le cinéma de SF des années 1980. J'ai particulièrement apprécié l'utilisation très belle des CGI pour donner vie aux images du storyboard, comme si le documentaire se voulait vraiment le Dune de Jodorowsky. La galerie des interviewés est haute en couleur et comprend quelques grands noms du cinéma, notamment Giger et Gary Kurtz, etc. À elle seule, la personnalité de Jodorowsky vaut le détour ! En revanche, le documentaire pêche à trop coller au point de vue de Jodorowsky et sa troupe. Tous expliquent l'échec du projet par son côté trop avant-gardiste, qui aurait effrayé les cadres des studios hollywoodiens, davantage habitués à manier les chiffres. C'est un récit qui fait évidemment la part belle à Jodorowsky, présenté comme un grand génie incompris, mais est-ce vraiment aussi simple ? Il était évident que jamais le film n'aurait respecté son budget initial de 15/20 millions de dollars, déjà énorme pour l'époque, avec d'aussi fortes personnalités impliquées, qui toutes n'avaient pas encore l'expérience du cinéma. Facile de critiquer les producteurs, mais mettre une telle somme dans un film dont le genre n'avait pas encore vraiment percé au cinéma, excepté 2001, L'odysse de l'espace, c'était un très gros risque à prendre, et rien ne dit que le résultat eût été à la hauteur des ambitions fixées par Jodorowsky. Surtout, il n'était prêt à aucune concession. Les producteurs voulaient un film ramené à une heure et demi, probablement pour contenir les coûts, Jodorowsky voulait un film de plusieurs heures, pas moins.
Au fond, il y a un paradoxe au cœur du projet que le documentaire n'aborde pas suffisamment. Jodorowsky rêvait d'un film très ambitieux, et pour cela il lui fallait beaucoup d'argent. Le système de production européen, auquel il était habitué, lui laissait beaucoup de liberté mais ne pouvait pas lui offrir la somme dont il avait besoin. Le système américain, que visiblement ses producteurs français comme Michel Seydoux connaissaient très mal, était disposé à mettre l'argent sur la table, en échange d'un contrôle minimal sur la réalisation (à l'époque, les studios s'ingéraient beaucoup moins dans les décisions artistiques des réalisateurs qu'aujourd'hui). Pour que son projet aboutisse, il aurait donc fallu que Jodorowsky prenne au sérieux l'aspect financier dès le début, qu'il s'entoure immédiatement de gens connaissant suffisamment le système des studios, comme l'explique d'ailleurs Gary Kurtz, le seul (!) producteur américain interrogé dans tout le documentaire. Jodorowsky n'avait que des artistes autour de lui et des producteurs européens très complaisants. L'échec du Dune de Jodorowsky n'est pas à mettre sur le dos d'Américains incapables de reconnaître le génie d'un artiste venu d'Europe et du Chili, ou ne pensant qu'à l'argent (cliché que dément d'ailleurs très bien l'obsession du grand Salvador Dali pour le fric) mais sur le compte du réalisateur lui-même et de son équipe, qui apparemment n'avaient pas bien saisi que le cinéma, c'est un art, mais aussi une industrie.